lundi 24 août 2009

Le XVIIe et le XVIIIe siècles.

(mise-à-jour le 11/09/09)


Plus près de nous déjà. Le XVIIe siècle vit naître de graves difficultés. L’extension du protestantisme et l’arrivée du duc d’Albe en 1567 furent le début d’une guerre civile et religieuse qui dura jusqu’à la moitié du siècle suivant.
L’Espagne, dont nous dépendions, représentait l’élément catholique ; le nord des Pays-Bas, avec Guillaume de NASSAU, prince d’Orange, l’élément protestant. La France favorisait ce dernier. Nous eûmes à souffrir de la soldatesque de l’un et l’autre de ces partis. Il y eut, pour les aider dans leurs déprédations, nombre de brigands qui n’appartenaient à aucune armée régulière. À ce point de vue, notre histoire locale et l’histoire de la région confirment les données de l’histoire générale quand celle-ci parle, pour la susdite époque, de mutins, d’iconoclastes hollandais, bandits de tout calibre.
Le traité de Westphalie, en 1648, mit fin à la lutte contre les Hollandais. Hélas, la guerre continua avec la France ; elle se termina provisoirement en 1659, mais d’une façon définitive en 1714 seulement par le traité de Rastatt.

Notre région n’échappa pas à ces calamités.
Vers 1590, des gens de guerre sont signalés dans nos environs.

1590. « A Pierre le Oureau de Bovigny preusté 11 dall. Por ses urgentes nécessités, et encore 2 écus de preust porun agneau que les gens de guerre lui ont mangé ».
1591. « Encore doivent devers Jehan La Grande de Halconru 4 dald. ½ pour ung aulnay que les gens de guerre ont mangé en sa maison ».
(A.P. Bovigny, cité par C. GUILLAUME)

Dans l’histoire du comte de MANSFELD par SCHANNAT, on lit : « En 1583, Mansfeld repassa des Pays-Bas dans son Gouvernement de Luxembourg pour se défendre contre les courses de quelques régiments espagnols qui s’étaient révoltés faute de paiement. Quoiqu’ils fussent alors retranchés à Saint-Vith, il les força néanmoins le 21 août avec le secours des garnisons qu’il avait tirées des places fortes voisines et, après un horrible carnage où périt une grande partie de ces mutins, il obligea le reste à prendre la fuite. Les révoltés appartenaient au régiment d’Anhalt ». que certains d’entre eux aient encore infesté le pays de leur présence et leurs rapines plusieurs années après la chasse qui leur fut faite par MANSFELD, la chose est vraisemblable.

Le roi Philippe II avait donné à Guillaume de MANSFELD, gouverneur du Luxembourg, la jouissance des domaines du prince d’Orange, dont Saint-Vith. De là, la rancune de la famille de NASSAU. En 1593, Philippe de NASSAU envahit le Luxembourg avec 1 200 fantassins et 500 cavaliers. Les Hollandais passent dans le comté de Salm. Ils menacent du feu. On y échappe ; mais moyennant le paiement d’une somme considérable que les habitants du comté doivent donner, et pour la garantie de laquelle les troupes prennent des otages.

C’est ainsi que le 7 juin 1599, Pierre GILLET, mayeur de Laloux au comté de Salm, hypothèque tous ses biens meubles et immeubles en faveur de Laurent GÉRARD, bourgeois et citoyen de Liège, « assisté de Jean Laurent son frère », du fait que le dit GILLET se déclare redevable envers les susdits « d’une somme de deux mil florins carolus XX pattars pièce monnoye courante selon l’évaluation de Liège » et ce pour une somme et intérêts « exposé au nom et de la part des subjects inhabitans au dit comté de Saulme par le dit Laurent et Estienne son filz pour la relaxation et eslargissement des ostagiers, lesquels sur l’an 93 pour le rachapt et redemption du feu avoient esté meiné es mains des hollandais en ostage, estans lors hostilement empieté en cestuy Duché de Luxembourg ». l’intérêt convenu à payer au denier douze, soit 8,33 %.
(CS 1597-1603/70-71vo)

Le même jour, Hubert OTTE de Menil échevin, se reconnaît également redevable, et pour le même motif, envers Laurent GÉRARD de Liège, d’une somme de mille florins carolus.
(CS 1597-1603/72vo-74vo)

Tout le comté étant engagé dans cette dette, c’est que son occupation a dû être complète.
En 1602, nouvelle expédition des Hollandais dans le Luxembourg, sous la conduite du comte Louis de NASSAU. Par Hollandais, il faut entendre un ramassis de toutes sortes de gens, Bataves, Français, Écossais, Hauts-Allemands, cavaliers et fantassins, en tout 1 200 hommes avec 3 pièces de campagne et 50 chariots. Parties de Nimègue le 3 novembre 1602, ces troupes y rentrèrent le 2 décembre suivant, après avoir dévasté, au cours de ce raid, 200 villages dans le rayon circonscrit par Saint-Vith, Bastogne, Saint-Hubert et La Roche.
En 1603, les archives font état de la présence également chez nous de soldats indisciplinés et révoltés, vivant de rançons exigées des habitants. Il fallut ainsi payer une forte somme à « l’esquadron des mutinez qui pour alors se tenoient à Hochstratte » et « pour abvier et couper chemin à beaucoup d’inconvéniens desquels autrement on estoit menacé ».
(CS 1602-1609/241-241vo)

Sur la douzaine d’années qui vient de s’écouler, le dénombrement de 1604 apporte de tristes constatations. Chacun de nos villages y est signalé comme comptant plusieurs chefs de ménage « pauves », « mendians », « ranconnez oultre leurs moyens » ; Ville-du-Bois et Petit-Thier, particulièrement frappés, ont perdu un tiers de leurs ménages.

Relevons enfin cette conclusion du dénombrement : « Le comté du dit Saulme est beaucoup diminué et appauvry depuis les dénombrements derniers, tant à cause des passaiges et subsequents logements que les gens de guerres y ont faict aux grandes foulles de désordres que par les ravaiges que l’ennemy hollandois y ont aussi faict par deux fois, y aiant séjourné avec son armée, ranconné et brascatté les subiects jusques à huict mil rix daler butné leur meubles, prins bon nombre de prisonniers et à l’une ou l’autre fois bruslé plus de vingt quattre maisons avec fourraiges de bestiaux. Et oultre tant de charges et ruines sont aussi estez constrainct de bailler aux mutins de hostraey avant leur réconciliation plus de deux mil florins sans les deppens et domaiges qu’ils ont faict au dit comté et les fourraiges que les sus dits subiects leures fournissent encore présentement en la ville de Ruremonde depuis la dite réconciliation, ce qui est cause qu’ils sont au présent fort pauvres, endebtés et engaigés, et par conséquent d’une diminution telle que s’est icy trouvé ».

(A.E.LUX.)

Voici encore deux autres textes :
- « Mémoire qu’avons presté à Jehan Konard, Jehan Dony et Jehan Henry le meeur por tos les manans de Corty, la somme de 40 fls ½ por payr le rachap des incursions des mutinys, lesquels flor. ont promis de rendre ou de faire rendre par les susdits habitans, en l’an 1603, environ le cinq d’april ».
- 1603. « Item avoir exposé environ 5 fl. Bb. por destorner 16 hommes de chevales hors Cortil et des deux villes de Cieru et Rogery, por lesquels flor. ont cautionné Jehan Konard et Jehan Jacques »
(A.P. Bovigny, cité par C. GUILLAUME)


La guerre de Trente ans (1618 – 1648) et une grave épidémie de peste amenèrent bien d’autres misères.
G. REMACLE n’a pas recueilli d’indications sur la présence de la peste au pays de Salm en 1636. Mais cette épidémie a sévi toutefois dans la région puisque dans une chronique commencée en 1742 le P. Jean Evangéliste, originaire de Malmedy, signale : « En l’an 1636, la peste estant icy à Malmedy pendant l’été jusqu’en hyver, 3 religieux capucins sont morts de peste au service des pestifiérés ».
(F. DANDRIFOSSE, dans Folklore Stavelot-Malmedy, t. X, 1946, note p.51)

La peste avait sévi à Vielsalm notamment en septembre 1571 : « au mois de septembre dernier comme il convenoit aux habitants du villaige de la vieille Saulme sortir du dt villaige pour la peste y regnant ».

(23 avril 1572, CS 1565-1594/40vo)

Des gens de guerre sont signalés chez nous à différents endroits déjà vers 1630, pillant l’église de Saint-Martin (Bovigny) et la chapelle de Courtil, comme ils séviront à Vielsalm en 1636.

1631. « Ce fust le jor que les Wippaerts pillèrent l’église Saint-Martin, l’église Saint-Hubert, et la chambre Nostre-Dame, en la fête St Simon et St Jude ».
(A.P. Bovigny, cité par C. GUILLAUME)


À partir de 1636 commence une série d’années désastreuses comme jamais le Luxembourg n’a subies.
En ce temps-là (1636), l’armée austro-espagnole (environ 30 000 Croates, Polonais, Hongrois, sous les ordres de PICCOLIMINI) en guerre avec la France, établit ses quartiers d’hiver dans le Luxembourg.
Les Impériaux s’y livrèrent aux plus épouvantables excès pour se procurer de l’argent, des vivres, ou pour le simple plaisir de détruire. La misère atteignit un haut degré. L’hygiène devait s’en ressentir ; une épidémie de peste ne tarda pas à faire son apparition et sévit avec violence. À la connaissance de G. REMACLE, toutefois, il semble que la terre de Salm, située tout au nord-est de la province, ait échappé aux excès des troupes austro-espagnoles.

Mais en 1636 également, un corps de soldats hollandais venant de Saint-Vith et allant jusqu’à La Roche, commit toutes sortes de sévices sur son passage. Le curé de Salm consigne à ce propos dans son registre paroissial : « le 16 novembre 1636, les Hollandois ont fait excursion en la Conté de Salme et ont bruslez les principales maisons de la Vielle Salme et la maison pastoralle ».
(R.P. Salm, 2/dernière page)

Il notait encore qu’en 1637 un édit hollandais interdit tout exercice du culte dans la région. On cessa dès lors de célébrer la messe dans l’église de Salm et autres lieux, jusqu’à l’Epiphanie. L’édit fut rapporté en 1639.

(R.P. Salm, 1/1. Inscription de 1637 par « Petrus Gomé, Vicarius in Salmis » ; « Notandum quod anno 1637 supra dicto, incipiendo a 16° januarii fuerit prohibitum edicto hollandico facere sacra in terris en provincies ejus contributioni obnoxiis et subjectis, ab eoque tempore fuit cessatum a missa in Ecclesia de Salma et coeteris usque diem regum plus minusve secundum diplomatis publicationem anni 1639 ».)

Des soldats de plusieurs régiments français ont également résidé chez nous du début de 1637 à 1645, régiment de RAFFROY, de la JOSSE, de LAMBOY. Plusieurs actes de baptême de la paroisse de Salm en font foi.

À partir de 1646, nouvelles troupes, des Lorrains cette fois, mais à cette époque les armées n’étaient qu’un ramassis de gens sans aveu, de toutes nationalités, servant quiconque les payait. Plusieurs années durant, les Lorrains restèrent chez nous, en stationnement ou en vagabondage. Des pillages nous sont signalés ainsi en divers endroits.

Dans son testament de 1659, Mathieu REMACLE de Ville-du-Bois, déclare qu’il ne possède plus de biens meubles, ceux-ci ayant été « perdu aux ravaiges et pillaiges des Lorrains ».
(CS 1651-1664/131-131vo)

À Beho, les troupes lorraines de passage en 1647 « en emportent 45 vaches, 42 chèvres, d’une valeur de 700 écus ».
(Archives de Clervaux, cité par L. ROGER, A.I.A.LUX., 1914, t.XLIX, p.46. Au lieu de chèvres, il faut sans doute lire « moutons »).

Devant les excès, les populations terrorisées s’enfuient. Par exemple, les actes de baptême de Salm ont gardé le souvenir de trois baptêmes extra-paroissiaux, en 1646, 1650 et 1653, les parents – de Rogery et de Braunlauf – des enfants baptisé étant déclarés en fuite à cause de la présence des Lorrains.
Après le traité de Munster, la guerre étant finie avec les Provinces-Unies, elle continua toutefois avec la France, jusqu’au traité des Pyrénées en 1659. Cela nous valut la présence de troupes françaises qui ne se comportèrent guère mieux que les précédentes.

À Petit-Thier, le dénombrement de 1656 signale qu’après les Hollandais, les Français, « ont encore tout pris ».

A. de NOUE, Etudes historiques sur l’ancien pays de Stavelot et Malmedy, p.389, signale qu’en 1654, les troupes de Lorraine venant faire le siège de Malmedy, « déchargent leur fureur sur Hedomont et sur Weismes qu’elles démolissent ».
Cf. aussi Folklore Eupen, Malmedy, St-Vith, 1924, p.82.

Les archives de Wanne notent la mort tragique, en 1650-1651, de 48 personnes du ban de Wanne, provoquée par les excès des soldats de l’armée du vicomte de TURENNE.

Dans ses notes, C. GUILLAUME écrivait à propos de la paroisse de Glain-Saint-Martin : « La présence de soldats pillards dans les différentes sections de la paroisse est signalée notamment en 1649, 1651, 1655, en quelles années respectives ils enlevèrent le bétail ou détruisirent les immeubles ».

Les actes de baptême de Salm notent la présence de soldats des régiments de LONGVAL, de BREDENCY, du comte de RETZ, de CONDÉ, et du comte COLIGNY.

En 1659, le dénombrement au comté de Salm signale encore que plusieurs chefs de ménage sont absents ; particulièrement pour Bovigny et Courtil, qu’ils « sont tout abandonné quand ils ont ouie parlé que la garnison approchoit ne sachant où ils sont allés ».

Ces années de misère passées, on put compter dans le Luxembourg 380 villages et censes abandonnées et déserts.

Quant au pays de Salm, il est dévasté. Les dénombrements de 1656 et 1659 en donnent un triste tableau ; on peut en juger d’après les extraits publiés plus loin au chapitre concernant la population. On y lit que chaque village comporte des maisons ruinées ou brulées, sans compter les immeubles en mauvais état, « desrompus », ou les « huttes de gazon ». en voici la liste, pour les localités du comté :

Vielsalm, 17 maisons brûlées ou ruinées.
Salmchâteau, 2.
Goronne, 3.
Menil, 2.
Arbrefontaine, 5.
Burtonville, 1.
Rencheux, 5.
Cierreux, 7.
Bèche et Gotale, 2.
Rogery, 11.
Bovigny et Longchamps, 7.
Halconreux, 5.
Honvelez, 6.
Gouvy, 10.
Neuville, 9.
Commanster, 18.
Ville-du-Bois, 5.
Petit-Thier, 5.
Ennal, 9.
Grand-Halleux, 9.
Hourt, 5.
Tigeonville, 2.
Mont, 5.
Petit-Halleux, 4.
Dairomont, 3.
Farnières, 3.
Becharpré, 1.
Mont-le-Soie, 3 sur 3, le village est désert.


La plupart des chefs de ménage sont accablés de dettes et, comme le note le recensement pour Petit-Halleux et Ville-du-Bois, « presque tous doibvent plus de debtes qu’ils nont vallant ». Une grande partie du bétail est engagé. Beaucoup de terrains sont abandonnés ou en friche.

Tableau lamentable. La terre de Salm a été rudement flagellée.

Le 4 novembre 1648 déjà, le Conseil provincial avait exposé la situation pénible du pays à l’archiduc Léopold-Guillaume d’Autriche, gouverneur des Pays-Bas : « le pauvre peuple de cette province est si exténué et sy bas qu’il est très difficile de le pouvoir assé exprimer … [il] est notoire que dez l’an 1636 la province endura une désolation sy horrible par une multitude démesurée de gendarmerie quy furent jettés sans règle, que par la famine, peste et maladies qui s’en ensuivent il y moururent misérablement des personnes par cent et cent mille et n’y resta pas la dixième âme vivante, tous biens et bestaille furent enlevez, perdus et destruicts, et depuis le petit reste qui est demeuré a continuellement esté travaillé, fatigué et surchargé par des armées entières, passages, séjours, camp, contributions, corvées, fournissement d’esleuz, entretenement de gens de guerre, par dessus les Brandschatz, voleries et ravages de l’ennemis, et est chose de très grande compassion de veoir et entendre leurs misères, les désolations, plainctes et doléances, avecq se trouvent encore affligez par le fléau de la famine en la présente misérable année en laquelle par ceste extraordinaire continuation des pluyes sont faillyz les grains en ceste province et tous autres fruicts de la terre, tellement que l’on commence déjà à crier la faim et de vivre d’avoine et de légumes ».

(J. SCHOETTER, Le duché de Luxembourg et le comté de Chiny, Luxembourg, 1875, p.206. L’hiver de l’année 1649 fut d’une rigueur excessive.)

Le nombre de ménages n’a toutefois pas, en général, subi de diminution sensible.

D'après divers dénombrements, le tableau suivant du nombre de ménages peut être établi :

Localités 150115891604161116561659
Bèche et Gotale61718191014
Burtonville-69101012
La Comté46761010
Neuville102522241818
Priesmont ? 3 1/2
3 1/2
3 1/2
3 1/2
2 1/2
Rencheux91213131619
Salmchâteau91819161925
Vielsalm, Hermanmont et Cahay81617203638
Ville-du-Bois223322214741
Petit-Thier-159152220
Goronne142221242230



D'autre part, l'état de la ruine matérielle de la région au XVIIe siècle est illustré par les chiffres suivants, indiquant le nombre de fois que l'unité d'imposition ou feu a été admise aux recensements de 1561, 1589, 1604 et 1611 :

Localités1561158916041611
Bèche et Gotale?723
Burtonville-11/41 1/4
La Comté421/21
Neuville10 1/210 1/22 1/24
Rencheux672 1/23
Salmchâteau10 1/2622 1/4
Vielsalm, Priesmont, Cahay13 1/27 1/22 1/24
Ville-du-Bois et Petit-Thier26 1/22046 1/2
Goronne10 1/21045
Tout le comté de Salm21818456 1/479 7/12


Selon SCHOETTER (p.254), en 1659 ce nombre de 79 7/12 était tombé à 49 1/3.

Mais dans quelles conditions doivent-ils vivre ?

Comme en 1940 et 1944, la population aura sauvé sa vie avant tout, néanmoins au prix du pillage, rançons, incendies, fuite, et toutes sortes de misères. Écoutons-en encore des échos saisissants :

- À Rogery, les habitants « ont esté pillez trois fois entièrement ».
- À Petit-Thier, les habitants déclarent en 1656 : « qu’ils doibvent encor le rachast de leurs bestes qui furent prises par les hollandois pour les arrerages de leurs contributions, que depuis deux ans les françois de Thionville leur ont encor tout pris, et que la pluspart doibvent encore leur quartier d’hiver de l’an passé ».
- À Vielsalm : « les hollandais ont bruslé l’an 1636 dix sept maisons sans qu’il y en soit aulcune rebastie » en 1656.
- À Ennal, en 1656, « toutes les maisons et biens du village sont engagés à ceux de Stavelot pour debtes ».
- À Mont-le-Soie : « Soye est désert ayant trois maisons qui sont esté bruslées par les hollandais, les biens estans abandonnez et ruinez ».


Après le traité des Pyrénées, le pays de Salm jouit d’un peu de tranquillité. Celle-ci permit sans doute de restaurer bien des ruines et de panser des plaies.

Les troupes françaises reviendront toutefois encore avant la fin du siècle.

En 1679, le roi de France avait chargé quatre tribunaux français, les fameuses chambres de réunion, de rechercher les villes et pays ayant relevé autrefois des territoires acquis à la France par les derniers traités ; le Luxembourg ne pouvait échapper à l’annexion.

Les attaques de Louis XIV contre le duché se multiplièrent vers 1680. Elles avaient pour but d’occuper le pays.
En août 1681, l’officier du comté de Salm transmet à François-Egon de FURSTENBERG évêque de Strasbourg, tuteur du comte François-Guillaume encore en minorité, les ordres « de comparastre devant la chambre de réunion de Metz pour y rendre hommage et de prester le serment de fidélité au Roy » de France.

(A. FAHNE, Geschichte der Grafen, jetzigen Fürsten zu Salm-Reifferscheid, sowie ihrer Länder und Sitze, nebst Genealogie derjenigen Familien aus denen sie ihre Frauen genommen, Cöln, 1866, t.I. ,p.28, lettre de François-Egon, du 15 août 1681, au président et procureur général de la chambre de réunion de Metz.)

C’est que l’ordre lui était parvenu auparavant, sans doute, et que Salm était à ce moment déjà sous le contrôle français.

En août 1681, d’ailleurs, l’infanterie du régiment du dauphin est au nord de Bastogne, et la France occupera le Luxembourg jusqu’au traité de Ryswick, de 1698.
(L. LEFEBVRE, A.I.A.LUX., 1954, p.355)

Nous savons notamment que le pays de Salm n’échappa pas à cette invasion, par un acte de décès, du 11 décembre 1684, de Jean Le RUTTE de Neuville : « L’onziesme a estez occis Jean Le Rutte par un soldat qui avait son quartier à la Neuville du Régiment du dauphin ».
(R.P. Salm, 3/112)

Mais c’est là le seul fait que nous ayons pu relever de la présence de troupes étrangères chez nous à ce moment.

Au cours de ces invasions françaises, le pays de Stavelot et Malmedy souffrit, semble-t-il plus que celui de Salm. Dans le Mémoire présenté au Haut Directoire de Westphalie par les députés du pays de Stavelot, ceux-ci exposèrent que leur pays entier était épuisé.
Cette plainte fut trouvée réelle et justifiée (de NOUE).


En octobre 1697, les Français ayant pénétré dans le pays de Stavelot, il y demeurèrent dix-huit jours, 600 chevaux furent installés à Lierneux et environs, y consommant 11 000 rations de foin et 3 800 setiers (environ 55 000 kgs) d’avoine ; ce qui causa « une grande pauvreté dans le pays ».
(Journal d’Antoine RENARD, de Lansival)

Le 4 octobre 1689, Malmedy et Stavelot furent brûlées par les Français.
Le 2 août 1690, plus de 3 000 cavaliers et dragons français, qui avaient fait une course au pays de Juliers, arrivèrent à Malmedy et y restèrent jusqu’au 16.
(J. HALKIN, Inventaire des archives de l’abbaye de Stavelot-Malmedy, Com. Roy. D’histoire, 1897, p.319)

Le pays de Salm ne s’est-il pas ressenti de ces événements si proches de lui ?

La restauration espagnole de 1698 fut de courte durée. De nouveau Louis XIV, au cours de la guerre de succession d’Espagne ( 1701 – 1714), envahit le Luxembourg. On revît la présence française à Salm car, en 1702 déjà, Louis XIV confisqua par droit de guerre les revenus du comté de Salm sur « Monseigneur le comte de Salm », celui-ci résidant sur les terres de l’Empereur. Le roi de France mit ces revenus aux enchères publiques. Henri WIROTTE, haut-officier et receveur du comté, s’en rendit adjudicataire, le 23 novembre 1702, pour 3 850 florins brabant à payer chaque année de la durée des hostilités.
WIROTTE percevait annuellement 4 à 5 000 thalers, et n’en versait que 1 300 au roi de France. Il employait son bénéfice au profit du comté.
(A. FAHNE, Cod. Diplom., p.321)

La confiscation porta aussi sur la somme de 4 612 florins que devaient encore les habitants à la recette seigneuriale pour les années antérieures, ainsi que sur les grains se trouvant à ce moment sur les greniers du château, soit 243 muids de seigle et 363 muids d’avoine ; ces grains furent vendus par le receveur des confiscations.
(A.E.LUX. C.P. LUX., requêtes, liasses 201A, 201B, 202, 215)

De 1702 à 1714, le château de Salm fut occupé par une compagnie de fusiliers sous les ordres d’abords de Jean SAUVAGE de Lierneux puis, à partir de 1707, d’Eric-François PIERRET de Vielsalm, devenu capitaine commandant au dit château et au service de Sa Majesté catholique.
(CS 1683-1718/300vo et 311vo ; CS 1702-1725/29vo)

G. REMACLE signale aussi un acte de décès à Salm de « Martin Strabius, soldat dans la compagnie du sr Pierret », le 13 octobre 1710.
(R.P. Salm 8/64vo)

Et 16 actes de baptêmes d’enfants de ces fusiliers.

Cette adjudication dura jusqu’à la fin de la guerre.

Les traités d’Utrecht (11-4-1713) de Rastatt (6-3-1714) et de Bade (7-9-1714) constituèrent enfin, pour ainsi dire, l’acte final des invasions de la période la plus tragique de notre histoire.

Après 1714 et avec l’avènement de l’empereur Charles VI commença, pour notre région, comme pour le duché de Luxembourg, une période de paix et de réparation. Elle devait durer jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Des troupes vinrent encore séjourner à Salm au cours de la guerre de succession d’Autriche (1741 – 1748). Ainsi, de 1743 à 1748 plusieurs actes de décès ou de baptêmes mentionnent le séjour temporaire de dragons autrichiens à Salmchâteau, à Vielsalm, à Rencheux. Ils appartenaient aux régiments de STIRUM, de RETHUM, et de LIGNE.
Par exemple, cet acte de décès du 5 mars 1743 : « Le même jour est perie malheureusement par un coup de fusil laché par un dragon du Régiment de Styrum Catherine fille à Winand Laplume de Salm Château ».
(R.P. Salm 9/71 ; autres actes : 9-1-1743 (9/10vo) ; 20-1-1743 (9/70vo) ; 9-9-1746 (10/61vo) ; 3-3-1747 (10/64) et 12-7-1748 (10/72))

En 1747, une compagnie de LIGNE dragons (régiment autrichien) fut cantonnée à Neuville, Rencheux, Petit-Thier, Vielsalm, Ville-du-Bois, une demie à Arbrefontaine, Goronne, Grand-Halleux, Petit-Halleux. Fin 1748, il y eut encoe deux compagnies du même régiment dans le comté de Salm.
(SPRUNCK, Le Duché de Luxembourg)


D’autre part, en 1748, de nouveau des troupes françaises sont cantonnées chez nous. Elles payeront les « livremens » qui leur sont effectués pour 1 700 florins. Toutefois, leur séjour avait provoqué pas mal de tracasseries.
(CS 1749-1763/408)

On peut lire le mécontentement provoqué par l’attitude du haut-officier RUTH en ces événements.
(A.E.A. Conseil de Luxembourg, Liasse Salm)


Pour ce XVIIIe siècle, il faut signaler avant tout le relèvement de la prospérité, ramenée par l’ordre et la sécurité.
C’est un fait que Charles VI et sa fille Marie-Thérèse ont beaucoup fait pour favoriser le développement du Luxembourg et accroître le bien-être matériel des habitants. Ils construisent certaines grandes routes, établissent des services de diligence, réorganisent la justice et les finances, encouragent l’instruction publique, favorisent la création d’industries, s’intéressent vivement aux progrès de l’agriculture, promulguent diverses ordonnances très opportunes. Le pays sortit rapidement du marasme où il était plongé depuis Philippe II.

Au pays de Salm, à travers les documents de l’époque, on perçoit nettement une vie plus active et plus riche.

Les relations commerciales, à ce moment, grandissent. Des « marchands » sont signalés en plusieurs de nos villages : Jean JEUNEJEAN de Burtonville, Laurent LEBECQUE de Salmchâteau, Jean RAPHAËL et Jacques LIBAR de Vielsalm, les BAPTISTE de Commanster, Neuville et Courtil, etc. Ces derniers acquerront une belle fortune.

Les articles en faïence, le tabac, le verre et d’autres nouveautés se répandent. La pomme de terre est introduite dans la première partie du siècle et sa culture prend vite de l’extension, à tel point qu’un procès surgira entre le comte et ses sujets à propos de la dîme que ceux-ci ne voulaient pas payer sur cette nouvelle culture.

Selon une transaction du 14 juillet 1768, le comte de Salm admit que la dîme sur les pommes de terre ne fût payée que pour l’excédent d’un demi-journal de culture.
(A.E.A. Conseil de Luxembourg, Liasse Salm)

Un décret de Charles de LORRAINE, daté de Bruxelles le 27-11-1754, introduisit la dîme des pommes de terre dans le duché de Luxembourg : « Les habitants du duché de Luxembourg qui ne peuvent prouver la prescription de 40 ans, sont obligés de donner disme des poires de terre qu’ils plantent dans les champs décimales ».
(J. BASTIN, Les plantes dans le parler, l’histoire et les usages de la Wallonie malmédienne, Liège, 1939, p.107)

G. REMACLE a relevé, dans les archives, divers textes concernant cette culture au pays de Salm.

De petites fabriques familiales de « potaschen » se créent, à Burtonville, Neuvillen Ville-du-Bois, produisant annuellement, vers 1765, 7 à 8 mille livres.
(E.TANDEL, t.I, p.376)

L’exploitation des carrières d’ardoises s’amplifie car l’intérêt s’y porte de telle façon qu’il provoque une appropriation privée des lieux d’extraction. Des recherches sont même effectuées en vue de découvrir de la houille.
Par lettre du 31-12-1755, le comte Léopold de SALM accorde à Guillaume LAPLUME de Provedroux, autorisation de chercher et tirer du charbon de terre.
(CS 1749-1763/256-257)

La pierre à rasoir, ne comptant toutefois que deux exploitants en 1735 au comté de Salm, commence à être connue sérieusement bien en dehors du pays puisqu’elle est signalée en 1781 à Madrid et Amsterdam.
(CS 1780-1783/261 ; CS 1783-1785/92)

Les transporteurs du pays de Salm sont renommés depuis longtemps. Ils prennent , des longs déplacements, une habitude qui se transmettra jusque bien avant le XIXe siècle et fera connaître au loin les noms de LEMOINE, PAQUAY, JEUNEJEAN, LEBECQUE, DANTINE, REMACLE, GENGOUX, et d’autres dont le souvenir n’est pas encore entièrement disparu.

Un trafic assez intense s’établit sur l’ancien chemin limitant à l’est le comté de Salm, et se raccordant à Stavelot et Luxembourg. Un bureau de péage des droits d’entrée et de sortie, établi sur cette voie vers 1740, provoqua, à la fin du siècle, la naissance d’un hameau à l’endroit dénommé Broudefa, aujourd’hui Poteau.
De 1740 à 1787, G. REMACLE a relevé les noms suivants d’employés de ce bureau : AUTRICQUE, DUPAIX, HENRARD, VERHOVEN, CRESKENS, FORTBRAS, BALAND, RADELET, HOFFAIT, GRÉGOIRE, MONTLUISANT, RAVAUX, COULON, LAVAL, GENNOTTE. Tous ces personnages sont d’origine étrangère au pays.

D’autre part, les actes de l’époque, de la paroisse de Salm, concernant les baptêmes, mariages et décès, montrent que la population devient peu à peu plus mouvante. On relève notamment le fait de plusieurs jeunes salmiens au service des armées de l’impératrice Marie-Thérèse.

Dans cette activité et cette paix, il est normal que la population ait crû sensiblement. De 1659 à 1800, elle fera plus que doubler.

La vie religieuse devait se ressentir de cet accroissement de population, certaines communauté villageoises devenant assez populeuses pour ériger une chapelle et subvenir à l’entretien d’un prêtre, sans toutefois être détachées de la paroisse de Salm. Ainsi, procédant avec l’accord des autorités, et les localités les plus éloignées de Vielsalm d’abord, Commanster en 1683, Goronne en 1691, Burtonville en 1703, Petit-Thier et Cierreux en 1704, Salmchâteau en 1723, Ville-du-Bois en 1766.
(D’après D. GUILLEAUME, L’archidiaonné d'Ardenne, et divers documents.)

D’autre part, le transfert du titre d’église paroissiale de Saint-Martin à la chapelle de Bovigny fut régularisé en 1717, et Rogery eut également sa chapelle en 1713.
L’église de Vielsalm étant en fort mauvais état, sa reconstruction totale commença en 1715. On y travailla plusieurs années, sous l’impulsion du haut-officier RUTH à qui le comte Charles-Antoine reprochera plus tard d’en avoir fait non une église de village mais une cathédrale.

Signalons aussi que nos villages ont dû, à ce moment, modifier profondément leur physionomie. Car le plupart des anciennes maisons qui nous sont parvenues portent une date du XVIIIe siècle. Si le XVIIe siècle avait ruiné bien des demeures, le XVIIIe a constitué une période de construction.
Signe manifeste de paix et de prospérité.

Toutefois, le siècle ne fut pas sans difficultés, mais d’un ordre nouveau. La population plus considérable prend conscience de sa force. En même temps, les relations avec l’extérieur et l’accroissement du bien-être stimulent un sentiment de liberté et de progrès social. La réalité de la vie ne correspond plus aux institutions créées sous la féodalité. Un malaise ne pouvait que sortir de cette situation, et dans laquelle, humainement, des abus devaient se faire jour. Nous parlons de ces événements plus loin à propos de la vie au comté de Salm.

Signalons enfin qu’au terme du siècle, le hasard des circonstances avait groupé à Vielsalm les principales personnes influentes de la région : J.B. OTTE, mayeur durant quarante-cinq ans, et cumulant aussi, à certains moments, les fonctions de greffier et de receveur ; le prévôt ; le greffier de la Cour de Justice ; deux notaires ; sans compter le curé de Salm sire Laurent MARTINY, également doyen du concile de Stavelot.
Au reste, l’accroissement notable de la population paroissiale faisait de ce centre religieux un lieu dont la fréquentation devenait occasion de rencontres, d’affaires, et suscitait le groupement des influences régionales mêmes.
Aussi, n’est-il pas étonnant quand viendront les révolutionnaires français, que Vielsalm ait bénéficié de ces influences pour l’établissement des institutions nouvelles.


Ndlr:

1) publié avec les nombreux compléments de G. REMACLE.

2) Annette DEMASY, au cours de ses recherches s'est documentée sur Guillaume de LAMBOY, et m'a fait parvenir les notes suivantes qui complètent et rectifient le texte de G. REMACLE :

Guillaume de LAMBOY est signalé comme combattant avec les Français, alors qu'en réalité il combattait pour les Espagnols et Autrichiens.
Il faut distinguer le père et le fils tous deux prénommés Guillaume. Le père a combattu pour la France , mais le fils deviendra "feldmarschal" des troupes impériales durant la guerre de Trente Ans.

"Jusqu'à sa mort, Guillaume fut un combattant violent et cruel de la contre-réforme avec l'aide des jésuites et des dragons".

A Hanau en Allemagne, on fête encore chaque année la levée du siège de la ville par Guillaume de LAMBOY et cette fête est nommée Lamboyfest.

Les troupes de Guillaume de LAMBOY sont souvent associées aux troupes croates de FORKATZ (qui étaient théoriquement sous ses ordres), mais les Lorrains faisaient aussi partie du camp des Impériaux. c'est peut-être ce dernier fait qui a amené la confusion.

(S. THION, Les armées françaises de la guerre de Trente ans, Auzielle, 2008)

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