Début août, un jeune archéologue m’a annoncé
sa visite imminente dans la région de Salm afin d’y prospecter à la recherche
de meules. Afin d’organiser au mieux son séjour, j’ai pris contact avec Henry
d’Otreppe, président de l’ASBL Val du Glain, Terre de Salm, afin qu’il
rassemble au musée du coticule des hommes de terrain pour aiguiller le
chercheur sur les différents sites. Jean-Claude Duvivier, Joseph Clesse, les
agents DNF envoyés par Jean-Pierre Offergeld, Bruno Van Eerdenbrugh et Alain
Hanson se sont montrés particulièrement efficaces.
Georges BENOIT
Paul Picavet découvre une ébauche de meule. |
Bonjour Paul Picavet. Pouvez-vous vous présenter
aux lecteurs de « L’Annonce » en quelques mots ?
― P. P. : Bonjour. Je travaille depuis quelques
années comme archéologue dans le nord de la France. Notre mission est de mettre
au jour les sites archéologiques menacés par les projets d'aménagement du
territoire, d'en étudier la stratigraphie et le mobilier, afin d'enrichir nos
connaissances sur les périodes chronologiques concernées. Mon axe de recherche
s'oriente vers les outils en pierre utilisés pendant la Protohistoire et
l'Antiquité. La pierre étant très bien conservée au cours du temps, l'analyse
de ces objets et des traces d'usure qui les affectent apportent beaucoup
d'informations sur le geste effectué et sur la pratique d'activités artisanales
et domestiques que nous ne connaissons plus dans notre société industrialisée.
Les meules sont un des exemples les plus parlants de cet usage de la pierre que
nous ne nous représentons plus. Utilisées quotidiennement dans l'Antiquité,
elles sont présentes sur la majorité des sites fouillés, et sont le fruit d'un
travail d'extraction et de façonnage démontrant un grand savoir faire.
Bruno, l'orpailleur, Paul, l'archéologue, et Alain, le géologue. |
Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à
la région de Vielsalm ?
― P. P. : On retrouve des meules en arkose
dévonienne, un grès grossier gris formé à l'ère Primaire,
sur tous les sites gallo-romains du nord de la France. Habituellement, on situe
leur fabrication à Macquenoise, sur la frontière franco-belge, où l'arkose
affleure et a été exploité à grande échelle à la période romaine pour la
fabrication de meules. Mais en faisant quelques recherches, je suis tombé sur
le blog "Vielsalm et ses environs", où Georges Benoit republie les
archives de la région. Plusieurs articles publiés par Gaston Remacle dans les
années 1960 mentionnent la présence de grandes excavations sur les bancs
d'arkose, où l'on peut observer des ébauches de meules circulaires. A l'époque,
il ne sait pas les dater, mais suppose une exploitation d'époque romaine.
D'autres ébauches de meules, en forme de grains de café, attirent aussi son
attention, et indiqueraient une exploitation pré- ou proto-historique. Or, il
se trouve que la roche d'âge dévonien qui affleure dans les environs de
Vielsalm est géologiquement comparable à celle de Macquenoise. Mon but
était donc d'observer cette roche sur site et d'en prélever des échantillons,
afin de voir si les deux faciès sont similaires, à l’œil nu et
microscopiquement. Nous travaillons pour cela avec des géologues.
Comment s’est déroulé votre séjour ?
― P. P. : Dès mon arrivée au musée du Coticule
à Salmchâteau, j'ai été accueilli de façon inattendue et tout à fait
exceptionnelle par les membres de l'asbl Val du Glain, Terre de Salm. Ce groupe de passionnés
et de spécialistes de disciplines diverses (géologie, nature, histoire...) a
tout de suite montré son intérêt pour mes recherches. J'ai donc été accompagné
pendant trois jours par ces personnes connaissant parfaitement le terrain, et
qui ont pu me guider directement sur les sites que je souhaitais découvrir.
Sans cette aide précieuse, j'aurais erré dans la forêt avec mes cartes en
espérant trouver quelque chose de visible.
― P. P. : Allant au delà de mes espérances, le
gisement s'est avéré gigantesque et nous n'avons pas pu parcourir l'ensemble
des sites mentionnés dans les archives. Tout l'ouest de Salmchâteau reste à
prospecter. Nous avons observé, dans les bois, d'immenses levées de débris
rocheux entourant des fosses plus ou moins profondes, témoins d'une exploitation
ancienne de la roche à grande échelle. Certains blocs esquissent une forme
circulaire, parfois bien aboutie, et la perforation centrale de la meule est
quelquefois entamée. Ces ébauches de meules, dont certaines sont exposées au
musée du Coticule, dépassent 1 m de diamètre, et permettent de dater
l'exploitation la plus visible du Moyen-Âge. Quelques indices évoquent
cependant une exploitation antérieure, comme la présence de blocs circulaires
de 60 à 90 cm de diamètre qui peuvent remonter à l'époque romaine, et celle de
blocs dits "en grain de café" qui correspondent à des ébauches de
meules "va-et-vient" de la Protohistoire (Néolithique ou âges des
métaux). Ces exploitations plus anciennes semblent cependant avoir été oblitérées
ou détruites par les exploitations plus récentes.
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