dimanche 26 juillet 2009

L’Histoire d’un Samiot.

(mise-à-jour le 30/08/09)

(publié dans L’Organe de Vielsalm, le 19 avril 1903)

Les voyageurs qui visitaient Cologne vers la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe, ne manquaient jamais d’aller visiter le cabinet de collections d’histoire naturelle et d’antiquités du baron HÜPSCH. Celui-ci habitait une petite maison, bourrée jusqu’aux combles du plus singulier capharnaüm.
C’était un mélange de pétrifications, de pierres précieuses, d’insectes rares, d’animaux empaillés, de monnaies anciennes, de costumes et d’armes de toutes les nations, d’objets d’art décoratif, de livres rares et curieux, de tableaux, de sculptures, etc.

À son entrée dans l’étroit vestibule, le visiteur était reçu par une momie posée debout, et par une théorie de poupées articulées brandissant d’une manière menaçante des lances inoffensives. Au dessus de sa tête, il voyait se balancer deux crocodiles empaillés.

Le propriétaire de ces richesses s’avançait vêtu de blanc et vous précédait avec toutes les marques d’une politesse raffinée ; puis il s’éclipsait tout à coup, et à sa place apparaissait une gouvernante d’une laideur repoussante, coiffée d’une fantastique perruque, ressemblant à une toison bien plutôt qu’à de faux cheveux. Cette créature bizarre, femme du peuple dépourvue d’instruction, connaissait cependant à merveille les collections de son maître et guidait avec sûreté le visiteur au milieu du savant désordre de celles-ci.
Elle recevait naturellement les pourboires qu’on ne manquait pas de lui offrir, et … les versait religieusement au baron, ce qui expliquait la soudaine disparition de celui-ci. Ces pourboires formaient une partie importante de ses revenus ; on conçoit donc qu’il n’avait garde de renoncer à une source pareille de profits.

Quel était ce baron HÜPSCH et pourquoi empruntons-nous les détails qui le concernent à un article que lui consacre la « Gazette de Cologne », dans son dernier supplément ?
Le baron n’était ni baron, ni noble, n’avait aucun droit au nom qu’il portait et n’était même pas fils de la blonde Germanie. Ce bizarre personnage qui occupe une jolie place dans la galerie des originaux du XVIIIe siècle, époque féconde en personnalités curieuses et sortant du commun, était un de nos compatriotes, et à ce titre il nous a paru intéressant d’en dire quelques mots.

Il était né à Vielsalm le 31 août 1730, était le rejeton mâle du greffier de l’endroit et répondait au nom très roturier de Jean-Guillaume-Fiacre HONVLEZ, qu’il abandonna plus tard pour celui très aristocratique et très germain de Johann-Wilhelm-Karl-Adolf, baron de HÜPSCH et d’autres lieux.

Élève des Jésuites d’Aix-la-Chapelle, puis de l’Université de Cologne, il publia son premier ouvrage à peine échappé de celle-ci. Et, déjà féru de noblesse, le signa : de HONVLEZ. Chose curieuse, jamais aucune autorité allemande, et l’on sait pourtant si l’on est pointilleux et chatouilleux à l’excès Outre-Rhin, n’inquiéta notre homme pour ses prétentions nobiliaires.
Il put très ouvertement se qualifier de baron de HÜPSCH, de seigneur de Kriegelhausen, de Lotzen et de la Motte, sans être le moins du monde pris à parti.
Les questions d’histoire naturelle le préoccupèrent toute sa vie, et il publia un grand nombre d’ouvrages plus ou moins scientifiques.
Il s’adonna aussi aux controverses philosophiques et entra notamment en lutte ouverte avec les professeurs de l’université de Cologne, encore tout acquis aux disciplines scolastiques du moyen âge.



Portrait du baron de HUPSCH.(Hessisches Landesmuseum)



Autre portrait.


Vrai fils de son épouse, le pseudo-baron se mêlait de médecine curative par les simples. Il gagna beaucoup d’argent avec ses remèdes, qu’il faisait payer très cher par les patients riches, traitant gratuitement les indigents, à l’instar de Cagliostro. Par toute l’Allemagne et jusqu’en France, les malades avaient recours à ses lumières, et comme il n’en tuait sans doute pas d’avantage que les Esculapes de profession, sa renommée était considérable.
Il faisait également le commerce des objets d’histoire naturelle, des antiquités et des pièces rares et curieuses, très adroit et pas toujours des plus scrupuleux, lorsqu’il s’agissait d’acquérir une pièce qui manquait à sa collection.
Il fut quelque fois aussi la victime de fumistes ou d’escrocs. C’était, on le voit, un collectionneur selon la formule.



signature du baron de HUPSCH, le 12 décembre 1770.



Tout cela ne l’empêcha pas de réunir une infinité de choses, disparates sans doute, mais intéressantes et de grande valeur. Sa vie durant, les Colonais n’apprécièrent guère les trésors accumulés dans la petite maison de la Johannisstrasse.
Ils le jugeaient en plaisant original et ne lui épargnaient pas les brocards. Les étrangers de distinction qui visitaient son musée, n’étaient pas du même avis.
Aussi lorsqu’on apprit que le propriétaire de ces richesses, entraîné par ses goûts de collectionneur à des dépenses dépassant de beaucoup ses ressources, se vit obligé, sur le déclin de sa vie, à essayer de s’en défaire, y eut-il grande émulation parmi les princes d’Allemagne pour en faire l’acquisition.
Ce fut le landgrave de Hesse qui l’emporta, au grand ennui des concitoyens du baron. Celui-ci avait offert son musée au maire de Cologne – on était sous la domination française – à condition qu’un bâtiment convenable serait assigné pour l’y loger.
Les négociations n’avaient pas abouti et le baron en avait gardé rancune à la ville.
HÜPSCH étant mort, ses collections devaient prendre le chemin de Darmstadt. Cette fois, mais un peu tard, tout Cologne s’émut.
Une députation fut envoyée au landgrave, pour le supplier très humblement de renoncer à son acquisition. Elle n’obtint pas gain de cause, mais le landgrave consentit à céder quelques objets d’intérêt purement local, qui font aujourd’hui encore partie des collections de la ville.
Ce fut Wallraf, le collectionneur émérite, élève d’ailleurs du baron, et dont les collections forment la base du musée ancien de Cologne, qui mena les négociations.
La majeure partie des antiquités et des curiosités délaissées par le baron HÜPSCH fait aujourd’hui le plus bel ornement du musée et de la bibliothèque de la cour de Darmstadt.
On estime leur valeur à une somme très élevée, dont on se fera une idée approximative quand on saura qu’il y a cent ans environ, elles étaient déjà estimées à deux et demi millions de frs.
La gouvernante du baron, qui devait accompagner les collections à Darmstadt et en devenir la surveillante, s’enivra tellement au repas des funérailles et mangea si gloutonnement qu’elle devint malade et ne tarda pas à suivre son maître au tombeau.
Elle avait, à ce repas, chanté des chansons à faire rougir, paraît-il, un corps de garde. Ce fut la seule oraison funèbre du bizarre personnage dont nous venons de parler.
Elle était digne de ce singulier original.

INTERIM

Ndlr :

1) Jean-Guillaume-Fiacre HONVLEZ, était fils de Gérard HONVLEZ et d'Anne-Marie KESLER. Voir E. HAVENITH/G.REMACLE, A propos d'un article récent: le soi-disant "baron de Hüpsch", dans G.S.H.A. n°4 (1976) pp.36-38.

2) Dans ses notes G. REMACLE indique que les collections du baron de HUPSCH se trouvent au « Hessischen Landesmuseum Darmstadt » et au « Schmütgen-Museum Köln » en 1964.
Titre du catalogue : « Ein Kölner Kunstkabinett um 1800 – Koln 1964 », cette publication traite de la vie et des différentes collections (d’après une lettre du 12-5-1970).
3) Un autre texte copié par A. ROLLE, qui sera publié ultérieurement traite du même personnage.
4) livres (trouvés sur le web) :
- "Description d'une Machine Universellement Utile & Avantageuse, propre a Détruire Entierement d'une Maniere Infaillible, Aisee & a Peu de Frais les Fourmis Ainsi que d'Autres Insects Nuisibles", 1777.
- "nouv. découvertes de testacées pétrifiés, pour servir à l'hist. natur. de la Basse-Allemagne" ; trad. de l' allem. Cologne, 1771.
- « Naturgeschiste des Niederdeutschlandes und anderer Gegenden, nebst hâusigen neuen Entdeckungen und Beobachtungen verschisdener seltenen, merkwürdig und wenig bekannten Naturwerke », Nuremberg, chez G.N. RASPE, 1781.






pages du livre sur le piège à fourmis.

5) Cet article a été republié par G. REMACLE dans L'Annonce de Vielsalm, du 10 septembre 1976, avec le titre "Un salmien original, Le Baron de Hüpsch". Avec la note suivante: "Trois portraits du "baron de Hüpsch" se trouvent au "Hessisches Landesmuseum" de Darmstadt: une peinture, un buste en terre cuite et un dessin; une note sur l'ascendance du "baron de Hüpsch" est publiée dans le dernier numéro de la revue "Glain et Salm ", ainsi qu'un portrait du "baron".

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