Pour y aller, il faut le vouloir. Ni train, ni autobus. Une route communale bien asphaltée. Elle descend des casernes de Rencheux-Vielsalm dans le val de Goronne, remonte sous les ombrages jusqu’au village du même nom et redescend vers un ruisseau connu déjà en 666, sous le nom d’Alba Fontana, et d’Albus Fons en 815 et 950. Moines de Stavelot et Rois Francs, puis Maires du Palais de Lierneux, furent les premiers à se partager les domaines de l’une et l’autre rive. Bientôt, les comtes de Salm convoitèrent l’ensemble de ce territoire et se l’approprièrent, par violence, disent les uns, par accord avec les moines, disent les autres. Fin du 16me siècle ou début du 17me, le patronage de Lierneux, sur la paroisse d’Arbrefontaine, est enlevé en leur faveur par les mêmes comtes de Salm. Sous la République française, le village est inscrit au canton de Vielsalm, arrondissement de Malmedy et département de l’Ourthe. En 1818, il passe à la province de Luxembourg.
Aujourd’hui avec ses hameaux de Menil, Chenay et Devant-le-Bois, Arbrefontaine compte 311 habitants et, depuis 1843, appartient au diocèse de Namur.
On raconte que le premier curé nommé par l’Evêque de Namur s’appelait « Maka ». soucieux de mettre au clair, et il y réussit, le sommier des titres antérieurement fort embrouillé, il n’eut pas le même succès avec les gens de sa paroisse ; ses brouilles avec plusieurs d’entre eux et ses démêlés sont restés célèbres. Lors d’une visite épiscopale, la première après le rattachement d’Arbrefontaine au diocèse de Namur, les cloches de l’église St-Maurice sonnaient à toute volée pour saluer le départ de l’Evêque. Au bourgmestre qui l’accompagnait jusqu’à la sortie du village, Monseigneur dit : « Vous avez de bien belles cloches, M. le bourgmestre ». – « Oui, Monseigneur, répondit le mayeur ; c’est dommage que le « maka » [le battant] ne vaut rien ! ».
L’un des successeurs de l’abbé MAKA, M. BONNECOMPAGNIE, curé de 1852 à 1871, devint doyen de Vielsalm. Son ministère fut illustré par les aventures du célèbre sorcier « Le Vieux Berger ».
Mais, plus que la sorcellerie, la piété a peuplé Arbrefontaine d’histoires merveilleuses. À chaque pas se lèvent des croix, des chapelles, dont la voix populaire raconte les origines légendaires ou vraies, toujours étranges, et surtout ce remarquable monument de la foi des anciens : « Les stations de la Chapelle du Calvaire », vieux de plusieurs siècles et dont le curé actuel, M. l’abbé BACCUS, a entrepris l’audacieuse et la couteuse restauration matérielle et spirituelle.
À la sortie du village, vers Odrimont, le long d’un chemin encaissé, chemin qui mène au bois, au lieu dit « Blanchar », à l’ombre de hêtres et de chênes, apparaissent, adossés au talus de droite, quatorze édicules d’une architecture curieuse, rustique et cependant de proportions harmonieuses. Ils s’échelonnent suivant la courbe du chemin dans un chatoiement d’ombres et de lumières. Un étroit sentier ç flanc de talus permet de passer d’un édicule à l’autre et d’aboutir à une chapelle carrée avec autel et statue de la Vierge.
Les archives paroissiales ne donnent aucune précision sur la date d’érection de ce monument. Elles parlent comme les vieilles gens : « Autrefois, depuis longtemps déjà, un dimanche par mois, les paroissiens d’Arbrefontaine et des environs avaient coutume de faire solennellement en cet endroit le chemin de croix ».
Une tradition rapporte qu’une ancienne religieuse, retirée à Arbrefontaine, Mlle Anne MASSOZ, décédée en 1772, fit construire en sa demeure un sanctuaire. On peut encore voir l’emplacement. Personne très pieuse, elle aurait, -- cette supposition ne s’appuie sur aucune preuve sérieuse, elle semble purement sentimentale, -- elle aurait, de son vivant, dirigé les travaux des stations et de la chapelle du Calvaire.
Une croix de schiste, retrouvée dans les ruines de l’édifice après l’offensive des Ardennes, et plantée aujourd’hui à gauche de l’allée centrale, face à la chapelle, porte l’inscription suivante :
IHS
IN : MEMOIR : DE LA MORT
ET : PASSION :DE IESUS CHRIST
PRIE : POUR LES : TREPASE
P 1736 Z
PV AVE
1736 ? Serait-ce la date recherchée ? Peut-on se fier à ce document gravé dans la pierre ? Les gens du village vous diront : « Nos stations du calvaire sont d’un temps plus reculé. Elles remontent probablement au 17me siècle ».
Sur quoi s’appuient-ils pour parler de la sorte ? Peut-être sur les matériaux et l’architecture du monument.
Chaque édicule, en pierres plates de schiste superposées, témoigne d’un art ancien. Il forme un bloc massif de 1m.50 de haut sur 0m.90 de large et de long, le tout recouvert d’une dalle de schiste de 1m.30 sur 1m.10. C’est surtout la superposition des pierres plates de schiste qui donne à ces édicules un étonnant cachet. Leur austère beauté s’allie à la représentation primitive des mystères le la Passion. Au centre, face au chemin, une ouverture profonde, étroite, grillagée, abrite l’une des scènes des quatorze stations. Les anciens du village se souviennent des personnages en bois sculpté qui composaient chacune des scènes. Ces statuettes ont disparu lors de la dernière restauration des édicules, en 1898. Elles furent remplacées par de mièvres plâtres sulpiciens en ovale. Dans la restauration, entreprise en cette année 1952, M. l’abbé BACCUS espère recueillir l’argent nécessaire à la remise en place, au fond des logettes de schiste, de personnages en bois dans le style simple et un peu rude des édicules.
La grande chapelle de la Vierge a souffert de la guerre. Un obus l’a détruite en partie. Aucun dossier de dommages n’en a été relevé. La négligence est d’autant plus regrettable que l’ensemble des stations et de la chapelle du calvaire mériterait d’être classé au nombre des sites et des monuments historiques. En attendant, pour en achever la restauration, le dévoué curé compte sur la générosité de ses paroissiens. Sur les étrangers aussi qui reprendront bientôt la coutume plusieurs fois séculaire de gravir l’étroit sentier du chemin de croix.
Aux touristes, Arbrefontaine offre la curiosité de ses vieilles fermes ardennaises, véritables musées d’antiquités où vivent des paysans parmi des ustensiles, des meubles et des boiseries, conservées avec le plus grand soin et d’une valeur inestimable. Au cours de leurs promenades au bord du ruisseau, dans la fraicheur des bois, ils cueilleront des légendes avec fraises, framboises, airelles et myrtilles. Aux carrefours des chemins, au creux du vallon, à la limite des herbages, chaque croix, chaque chapelle leur dira l’histoire d’un passé lointain ou récent : celle des dévots de Menil parlant à saint Roch, celle encore « au Chenay » de l’homme qui échappa miraculeusement aux brigands en faisant vœu de construire une chapelle à Marie, et cette autre d’hier, quand la famille TOUBON s’enfuit en mai 1940 devant l’invasion des brigands nazis. Sur les routes de l’exode. Dame TOUBON pleurait : tous les membres de sa famille avaient été dispersés par l’ouragan. Elle promit de construire un sanctuaire à Notre-Dame de Grâce si elle avait le bonheur de retrouver tous les siens réunis, la guerre terminée. Elle eu ce bonheur, et, en 1949, au lieu dit Plennsoul route d’Odrimont, s’élevait la chapelle du vœu à N.-D. de Grâce.
Les habitants d’Arbrefontaine, gens calmes, travailleurs, aimables, accueillants, ont une voirie que leur envient les communes environnantes. Ils seront bientôt très fiers de montrer aux étrangers dans sa beauté retrouvée l’un des plus rares monuments de la foi des anciens du pays de Salm : les quatorze édicules en schiste des stations du Calvaire et, sur la colline, devant le vaste horizon de bois et de prés, la chapelle de la Vierge, enveloppée de solitude et du souvenir des trépassés.
A.E.D.
Félicitations pour votre blog, très riche en contenus ! Quel est l'auteur de l'article sur le chemin de croix d'Arbrefontaine, qui signe en 1952 A.E.D. Connaissez-vous ses sources ? Y a-t-il, selon vous, d'autres articles consacrés à cet ensemble ? Grand merci pour votre attention et bonne journée. Caroline Balate (c.balate@skynet.be)
RépondreSupprimerMerci ! Non, je n'ai pas encore réussi à l'identifier.
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