samedi 10 mars 2012

À PROPOS DES « CHERBINS »

Jeau Haust, dans son Dictionnaire liégeois donne : hèrbin : m; fendis, grosse ardoise informe. Le pays de Vielsalm prononce chèrbin.

Si l'on excepte la petite ardoise régulière, fine et symétrique qui n'a été découpée et largement utilisée qu'à une époque plus récente, ou sur des détails de toiture nécessitant de très petites calibres, le toit ardennais était habituellement couvert des chèrbins traditionnels et dont l'épaisseur est généralement supérieure à celle des autres ardoises.

Les chèrbins ont une forme allongée, une sorte de rectangle aux bords arrondis. Le grand côté atteint facilement et même parfois dépasse les 80 cm tandis que le petite ne dépasse pas les 40/50 cm. L'épaisseur tourne autour d'1 ou 2 cm mais dans les cas extrêmes monte jusque 3 ou 4 cm. En fait, il y en avait de toutes les tailles : si les exemplaires de 1m² étaient rares (ils apparaissent sur certaines cartes postales), ceux de 0,5m² étaient courants.

Pose de la couverture.

Sur les poutres sont posés des chevrons à peine dégrossis dont la section tourne autour de 15/15 et l'entre-distance de 30 à 40 cm. Ensuite on fixe sur ceux-ci un voligeage jointif qui va servir de sous-toiture pour la pose des chèrbins. Les meilleures sous-toitures sont légèrement concaves afin que les chèrbins reposent bien les uns sur les autres. Cela est obtenu en utilisant des poutres de section plus forte aux extrémités de la toiture (faîte et bas) et des poutres de section plus faible au centre. Ils sont posés en longues bandes continues montant du bas de la toiture jusqu'au faîte. A l'intérieur d'une bande chaque chèrbin recouvre le précédent d'une dizaine de centimètre, à l'endroit de recouvrement maximum. Et chaque bande recouvre les chèrbins de la précédente d'une valeur similaire. Le couvreur pose une bande complète à la fois avant de passer à la suivante. Placés, ils laissent donc apparaître un angle obtus et asymétrique dont un côté est courbe, l'autre droit. La succession de ces derniers côtés fait apparaître une ligne rigoureusement droite qui se répète sur toute la largeur du versant, de gauche en bas à droite en haut. La succession des côtés courbes forme des lignes de festons mal définies de gauche en haut à droite en bas.

Le chèrbin est façonné sur place par le couvreur en fonction de l'inclinaison qu'il va donner à sa couverture. Seul un petit côté est taillé selon une ligne droite, c'est celui qui sera recouvert par la ligne suivante. Il est taillé avec l'angle de l'inclinaison des bandes et sert à aligner rigoureusement les chèrbins dans la direction de celle-ci. Les trois autres côtés sont arrondis de façon à ce que le chèrbin ne recouvre que ceux qui le précédent immédiatement – un en dessous de lui et un à sa droite. Ces forme rondes font que deux chèrbins du même niveau sont toujours jointifs et ne se recouvrent jamais pour éviter qu'une plaque de schiste ne soit pas posée parfaitement à plat sur les précédentes et « baille » un peu sur une autre de son niveau. L'angle entre les grands côtés et le petit qui donne la direction varie aussi d'un toit à l'autre. Il semble qu'il soit calculé de façon à ce que ces côtés aient toujours plus ou moins la même inclinaison sur l'horizontale.
Comme on l'a dit, les bandes sont toujours inclinées, en montant, de la gauche vers la droite. Cette disposition qui semble curieuse à l'observateur au premier abord, s'explique du fait que pour travailler le couvreur s'agenouille sur le toit à côté de la bande qu'il est en train de poser, la tête dirigée vers le haut du toit pour garder son équilibre. Comme la plupart des couvreurs sont droitiers l'habitude s'est prise de se placer à gauche de la bande afin de privilégier le bras droit. Les bandes déjà posées s'alignent donc à droite du couvreur et le nouveau chèrbin qu'il place se superpose aux précédents à la gauche de ceux qui sont déjà posés.

A la carrière, les blocs de schiste sont refendus – de la même façon que les autres ardoises, c'est à dire par fendage successifs d'un bloc en atelier, par le fendeur qui utilisait différents types de marteaux et de ciseaux – jusqu'à l'épaisseur désirée puis les grandes écailles obtenues sont classées par lots de même

Taille. Le couvreur utilisera les lots les plus grands pour façonner les chèrbins placés en bas de toiture. Comme la dimension apparente du chèrbins reste identique sur toute la hauteur du toit cela permet un recouvrement de plus en plus important au fur et à mesure que l'on descend. Les lots les plus petites servent à façonner les chèrbins mis "à l'envers" pour boucher les trous laissés entre deux lignes au bord des rives de toitures et à fabriquer les « cwèrbâ ». Ceux –ci sont utilisés pour la terminaison sommitale de la toiture et assurent l'étanchéité du faîte. Ils ont la forme d'une espèce de cercle terminé par une pointe de lance. Les gorges de ces pointes s'emboîtent avec celle des cwèrbâs du versant opposé qui sont ainsi retenus en place. La double ligne de cwèrbâs donne au faîte un curieux aspect hérissé qui évoque les rangées de corbeaux alignés dans les champs, d'où leur nom.

Les chèrbins sont posés dans un bain d'argile mêlée de paille hachée finement. On monte ce mortier dans un "oiseau" et on le répartit en tas réguliers au long de le nouvelle ligne à placer. Le couvreur l'étale de façon à ce qu'il recouvre toute la surface du voligeage d'une couche plus épaisse que les chèrbins déjà placés. Ensuite, il y écrase le nouveau chèrbin qui y adhère ainsi par succion, le place parfaitement de niveau et puis racle à la truelle le mortier qui en dépasse. Ce mortier a donc une triple fonction : assurer une pose régulière des chèrbins, les « coller » à la sous-toiture et jouer le rôle d'une sous-couche comblant les interstices. Cuite et recuite par plus d'un siècle d'exposition aux ardeurs du soleil, elle est aujourd'hui dure comme de la brique dans les toits qu'on démolit. Parfois, on remplaçait l'argile par de la bouse que les enfants allaient ramasser dans les prés. Cela donnait un mélange plus souple et plus « adhésif » qui aujourd'hui se décolle en larges films de plus ou moins 1m², comme de grandes feuilles de plastique. Ou, on utilisait encore de la sphaigne, mousse ramassée en fagnes que l'on plaquait sur la sous-toiture encore humide. Il s'agit du moins bon matériau car la mousse est moins étanche, se dessèche et finit par tomber en poussière, perdant toute qualité d'étanchéité.

Tous nos village, pour ainsi dire, conserve quelques exemplaires de toits de chèrbins, véritables œuvres d'art. Chaque année, hélas, il en disparaît. Ainsi, les remarquables abris à bestiaux situés dans les pâtures des environs de Grand-Sart notamment ont tous disparus récemment. Si les chèrbins pouvaient encore durer des siècles, ce sont les charpentes non entretenues qui se brisaient sous le poids imposant de la pierre.



R.N.

Sources :
Henry d'Otreppe de Bouvette, LE SCHISTE ARDOISIER D'ARDENNE SEPTENTRIONALE DU MOYEN AGE A L'EPOQUE CONTEMPORAINE, 1976
Guy Maillard, NOTES TECHNIQUES RELATIVES A LA FABRICATION DES ARDOISES DANS LA REGION SALMIENNE, in GSHA n°6 de juin 1977
Charles Gheur, L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE DES BASSINS DU GLAIN ET DE LA LIENNE EN HAUTE-ARDENNE, GSHA n°39, novembre 1993

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