Au temps d’autrefois
La légende de la fontaine Saint-Gengoux de
Vielsalm
Qui se souvient encore de la fontaine
Saint-Gengoux à Vielsalm ?
Elle se trouvait dans le talus de la
propriété de Saincay, en face de la petite chapelle bâtie vers 1930, dite
également de « Saint-Gengoux ». (Ce n’est donc pas la fontaine
actuelle près de la chapelle).
Elle avait autrefois grande vertu,
constituant d’ailleurs pour Vielsalm la source d’eau potable la plus rapprochée
de la localité.
Une légende y était attachée.
De vieux papiers nous l’ont rapportée telle
que l’avait recueillie feu Joseph Hens, de Vielsalm.
La voici dans son texte wallon et sa
traduction française.
Saint Djingou èstût on grand guèrier.
On d’joûr à l’guère, tot s’lèvant â matin,
i trova ses sôdârts qui pleurint d’sû.
I n’y avût qu’on soûrdant
o payîs et c’estût les innemis qu’ènne èstint maisses.
On les oyût rire d’â lon
et is s’amûzint à s’tapî d’lèwe.
Saint Djingou d’ha à ses
sôdârts : « Si vos m’voloz esse fidèles al grande bataye qui va v’ni,
vos âroz d’lèwe tant v’vôroz ».
Les sôdârts promètint.
Saint Djingou les quita
et, on pauk après, i l’vèyint rivni.
I rapwèrtût l’soûrdan so
s’dos ènn’ine hotte di pîre.
I buvint à leû sû, èt l’innemi
fout batou com mây’n n’avât èstou.
Qwand i rivna â payî,
saint Djingou planta l’hote, avou l’fontinne divins, wi-ce qu’on l’trouve
todis.
Ons y pout pûhi tant qu’on
vout : l’èwe dimanant todis à l’minme hauteur.
Li brâve saint èstut
rivni â payis po viki tranquile, mins s’feume ni lî lèyût nin.
Qwand qu’il èstint o lit,
èle lî r’provût d’âlî avou des ôtes… Qui sîs-dje ? des miséres di
feumerèyes !
Mins l’pus bê d’hiswère,
c’est qu’cèstût lèye qui l’trompû ! Et
l’bon saint Djingou l’savût !...
Al longue, i faliha.
Ine feye qu’èle rikminçût
co, saint Djingou li d’ha: “Dji fais sèrimint qui dji v’sèrè todis fidèle.
Fizoz l’minme sèrimint ! »
Li mâle kimére lèva les
deûs dûs…
Pinsant, tot l’sibérant,
li fére riknohe qu’èle mintût, nosse saint lî d’ha : « Nos alans alî
à m’fontinne et nos î trimp’rans chascune on brès : s’i gn’a onk des deûs
qui fait on fâ sèrimint, il ârès l’brès cût disqu’a l’sipale ! »
Il alint al fontinne, et
l’feume hardimint tchôqua si brès o l’èwe. Mins èle li r’tira do minme côp tot
criyant : èle l’avût tot cût, tot broulî…
Po s’vindgî, èle fiza
towé si ome di s’galant : ci-chal lî spiya les djambes, et l’achèva d’on
côp o l’tièsse.
Et vola poqwè on va priyî
Djingou à l’fontinne po les mâs d’ûs (à câse des sôdarts qui pleurint) et les
mâs d’djambes (les djambes do saint spiyîes). Et qu’les djonès djins qui s’promètet
marièdje y vont trimpî leûs mains.
Traduction :
Saint Gangulphe était un
grand guerrier.
A la guerre, un matin en
se levant, il trouva ses soldats qui pleuraient de soif.
Il n’y avait qu’une
source dans le pays et elle était en possession des ennemis.
On les entendait rire de
loin et ils s’amusaient à se jeter de l’eau.
Saint Gangulphe dit à ses
soldats : « Si vous voulez m’être fidèles à la prochaine grande
bataille, vous aurez de l’eau à discrétion ».
Les soldats promirent.
Saint Gangulphe les
quitta et, un peu après, ils le virent revenir.
Il rapportait sur son
dos, la source contenue dans une hotte de pierres.
Ils burent suivant leur
soif, et l’ennemi fut battu comme il ne l’avait jamais été.
Quand il revint au pays,
saint Gangulphe planta la hotte contenant la source, à l’endroit où elle se
trouve toujours.
On peut puiser tant qu’on
veut : l’eau reste toujours au même niveau.
Le brave saint était
revenu au pays pour vivre tranquille, mais sa femme, ne l’y laissait pas.
Lorsqu’ils étaient au
lit, elle lui reprochait d’aller avec d’autres… Que sais-je ? des misères
de femmes !
Mais le plus beau de l’histoire,
c’est que c’est elle qui le trompait, et le bon saint Gangulphe le savait !
A la longue, il s’énerva.
Une fois qu’elle
recommençait encore, saint Gangulphe lui dit : « Je fais le serment
que je vous ai toujours été, que je vous suis et vous serai toujours fidèle.
Faites le même serment ! »
La mauvaise commère leva
les deux doigts (prêta serment).
Pensant, en l’effrayant,
lui faire reconnaître qu’elle mentait, notre saint lui dit : « Nous
irons à ma fontaine et nous y tremperons chacun un bras : si l’un des deux
a fait un faux serment, il aura le bras cuit jusqu’à l’épaule ! »
Ils allèrent à la
fontaine, et la commère, hardiment, plongea son bras dans l’eau. Mais elle le
retira, du même coup en criant ; il était tout cuit, tout brûlé.
Pour se venger, elle fit
tuer son homme par son galant : celui-ci lui brisa les jambes et l’acheva
d’un coup à la tête.
Et voilà pourquoi on va
prier saint Gangulphe à la fontaine pour les maladies des yeux (à cause des
soldats qui pleuraient) et les maux de jambes (les jambes du saint brisées) et
que les jeunes gens qui se promettent le mariage y vont tremper leurs mains.
Extrait de la carte de Ferraris, vers 1770.
Fontaine miraculeuse donc,
à l’eau bienfaisante, disait-on contre les maladies d’yeux, les rhumatismes et
révélatrice de la sincérité des amoureux.
Depuis l’installation d’une
conduite d’eau à Vielsalm, l’abandon a frappé la fontaine.
Aujourd’hui peu à peu
comblé par les éboulements du talus, son emplacement reste à peine visible.
Et les amoureux ne vont
plus, comme jadis, plonger leurs mains dans la hotte sacrée pour démontrer la
loyauté de leurs serments.
Anonyme (01.12.1957)
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