Imaginons
un instant que nous sommes revenus un siècle en arrière.
On
entrerait chez Sépult par la grande porte cochère par où passait tout le charroi propre à l’activité d’un gros
négociant. On laisserait la maison des patrons : nous n’y sommes pas
admis. On découvrirait dans la cour ce charroi au repos - un char à foin, un tombereau,
un chariot- envahi pour l’instant par
les poules occupées à picorer, en caquetant,
la traînée de maïs que la
servante leur a jeté. On se souviendrait que, jadis, des chevaux et des chiens
de chasse à courre ont, ici, été
hébergés. Derrière les grandes remises, on pénétrerait dans le beau potager avec ses nombreux carrés de poireaux,
carottes, haricots, choux, oignons. Tout autour fleuriraient pois de senteurs,
phlox, et lupins. Après un rang serré de groseilliers à maquereaux et de noirs
cassis, on trouverait dans le verger de nombreuses variétés de pommes et des biyoques de toutes sortes. On sentirait le
chèvrefeuille grimpant contre le mur, le lilas aussi, et on entendrait le
bourdonnement des abeilles et des gros maltons,
le tchif-tchaf du pouillot véloce, la
moquerie du merle, le bavardage de la pie et les notes flûtées des mésanges…
Sur l’herbe seraient étendus, pour blanchir,
les draps de lits et le linge de maison.
La maison du notaire par Mary Lang, le 22 août 1910, dessin envoyé à Dykes Lang à Glasgow |
En
regardant du haut du grand mur vers le côté bâti de la rue, on découvrirait une animation de tous les
instants. À l’hôtel Bourgeois, deux servantes, prussiennes à les entendre s’interpeller, secouerait l’une les draps de lit par la
fenêtre, l’autre laverait le seuil en pierre bleue à grande eau. Chez
Ernotte-Colson, le patron et son commis disposeraient devant la porte les
articles de quincaillerie, de ménage et d’éclairage pour attirer les clients de
passage. Gaston Gillet sorti de son atelier avec le tablier maculé d’encre
d’imprimerie nous adresserait un signe de connivence : la composition de L’Organe de dimanche est bien avancée.
On entendrait sur les pavés le cheval tirant la charrette aux roues cerclées de
fer de la boulangerie Masson et, jusqu’à ce qu’il soit au moins chez
Beaupain, les roudjons de son collier. On verrait le tram à vapeur, détaché des wagons de voyageurs, dépasser ceux-ci par
la double voie pour se replacer en tête du convoi. On sentirait la fumée
s’échappant de sa grosse cheminée et on entendrait le sifflet annonçant le départ
vers Lierneux. Le machiniste François Wansart nous saluerait d’un geste de la
main. On ne serait pas certain de remettre
la dame assise (est-ce Catherine do fôrîr ou Madame Lenfant ou encore une
autre ?) discutant avec Marie Jacob de Ville-du-Bois et
Marie-Joséphine Lemoine de Rencheux. Et si c’est jour de marché, la rue
grouillerait alors d’une multitude de cochons et de gorets maintenus en place
tant bien que mal par les paysans. Le brouhaha de la place où sont les bovins
nous parviendrait atténué.
On
s’assoirait alors sur le vieux banc adossé au mur de chez Lambert.
On
regarderait le soleil se coucher derrière Rencheux.
On
écouterait l’angélus descendre du vieux clocher.
On
serait bien…
***
Mais
revenons les pieds sur terre.
Un
demi-siècle plus tard, la guerre et sa dernière offensive sont terminées depuis
une dizaine d’années : leurs derniers dégâts sont encore visibles.
Les
temps ont bien changé, les contingences économiques aussi.
Les
parents Sépult sont décédés, lui en 1943 en pleine tourmente, elle en 1948.
Et
puis il y avait eu ce fait divers dramatique : le 29 décembre 1935,
Jules Sépult avait abattu, au Bois
Lemaire, son ami Henri Archambeau âgé de 29 ans.
Robert NIZET
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