vendredi 31 juillet 2009

La pierre tombale d’un comte de Salm découverte à Vielsalm en 1953.

(publié dans L’Annonce de Vielsalm, le 22 août 1954)

Cet été aura vu l’avance rapide des travaux de reconstruction de l’église de Vielsalm. La toiture se complète chaque jour. L’ensemble du monument prend corps de plus en plus, et il dresse, sur le beau décor des horizons boisés, une masse imposante et originale.
Encore quelques mois, et ce coin de Vielsalm aura pris visage tout nouveau et attrayant.
Plus rien n’apparaîtra de ces blessures de guerre qui jetaient une souffrance dans le pittoresque et l’attrait de la localité.
Mais plus rien non plus, sur cet endroit historique, ne rappellera le passé.
A voir la fière église moderne, avec des abords coquets, qui se souviendra encore ! Qui se souviendra de la belle église, comme une « cathédrale », du 18e siècle ; de celles qui l’ont précédée ; du vieux cimetière avec ses dizaines de milliers de morts ? Si, comme dit LAMARTINE, « C’est la cendre des morts qui créa la Patrie », c’est bien ici qu’il faut trouver le cœur de ce qui fut l’ancienne paroisse de Salm.

Cette ancienne paroisse de Salm allait, on le sait, d’Ennal à Commanster, de Poteau à Cierreux et Goronne.
Sa fondation remonte à l’époque carolingienne. Mais son appellation de « Salm » ne viendra que plus tard, lorsque la terre elle-même, sous le régime féodal, aura pris nom de comté de Salm.
Où fut érigée la première église, modeste chapelle, sans doute ? A notre avis, non pas à l’endroit devenu Vielsalm, d’ailleurs inhabité aux temps carolingiens. Ce n’est que plus tard, après l’établissement, vers l’an 1000, des seigneurs qui prirent le nom de SALM, que le centre religieux s’est déplacé. Le système féodal, la présence du château à l’emplacement de la villa actuelle de Mme MOUTON, amenèrent pour la région une vue nouvelle. De gré ou de force, vraisemblablement, la vie religieuse elle-même dut en tenir compte. Et l’église, de Salm désormais, s’établit près du château.

Nous sommes ici vers le Xie siècle ou même peut-être le XIIe.
Depuis, au même emplacement, plusieurs bâtisses se sont succédé, chaque fois agrandies sûrement. Cinq ou six, peut-on admettre, si l’on tient compte de l’histoire locale et des modes de construction d’autrefois.

Et depuis également, le cimetière créé autour de l’édifice a accueilli les défunts jusqu’en 1873.
Dès lors, est-ce exagération que de parler de dizaines de milliers de morts, alors qu’à la fin du 18e siècle, par exemple, et sans compter ceux du ban des Halleux, il se faisait chaque année à Vielsalm environ 75 enterrements ?

Les édifices successifs, les tombes par milliers, celles de gens modestes et celles de personnalités, tout cela aurait dû, semble-t-il, laisser au sol un nombre considérable de vestiges. L’histoire locale y aurait trouvé une lumière plus vive.

Pourtant, au cours de déblais, l’an dernier, qu’a-t-on découvert ?
A notre avis, deux trouvailles surtout méritent de retenir l’attention.

Il s’agit de deux pierres. L’une, en arkose, ayant constitué des fonts baptismaux. L’autre, la pierre tombale d’un chevalier.

Laissant pour l’instant la première, pourtant bien caractéristique et plus ancienne nous voudrions ici insister sur la seconde.

Au moment de la découverte, on en a parlé déjà. Par sa masse, son caractère artistique marqué, son genre, elle a normalement frappé l’attention. Il n’est pas inutile, pensons-nous, d’y revenir.

La pierre en question se trouve toujours provisoirement, à l’heure actuelle, dans la cour de l’école libre à Vielsalm.

Il s’agit d’une dalle de granit mesurant 2,54 m. de longueur, 1,24 de largeur et 0,21 d’épaisseur. Autour de la pierre et longeant les bords, des bandeaux creux ; vraisemblablement, il y eut là une épitaphe en métal. Puis, comme cadre général, une brillante décoration de style ogival.

La partie centrale et maîtresse de la décoration présente un chevalier en armure. Au bas du gisant, un bouclier avec les deux saumons de SALM. Sur la cotte de mailles, deux grands saumons ; celui du côté droit apparaît très clairement, et mesure 0,92 m. Au côté gauche, une épée.
La tête est nue, avec cheveux retombant sur le côté. Mais la figure est occupée par un creux qui a dû contenir une matière autre que la pierre. Un creux également, sur la poitrine, indique la place des mains, jointes pour la prière.

Au-dessus de la tête du gisant, une main bénissant.
Plus haut, trois petits creux dont deux en forme d’anges tournés vers le troisième.

Enfin, à côté, dans la partie supérieure, deux enfants pourvus chacun, en forme d’ailes, de deux saumons, et accompagnés de l’écusson de Salm.

Le coin inférieur gauche est sérieusement ébréché. Il apparaît en outre avec une usure très marquée qui a enlevé entièrement le dessin décoratif selon un triangle d’environ 75 cm, pour chaque côté de l’angle droit.

Pour les restes de quel personnage la dalle a-t-elle été taillée ?

A en juger par les détails qui la décorent, elle se rapporte à un membre de l’ancienne famille seigneuriale de Salm, qui ne peut-être qu’un comte même.
On a dit que cette décoration serait attribuable au XVe siècle. Et comme est décédé en 1415 le dernier comte de Salm de la maison de VIANDEN, Henri VII, on en a conclu que la pierre tombale en question ne peut être que celle de Henri VII.

Conclusion un peu hâtive, nous paraît-il. Car, à les examiner soigneusement, les motifs décoratifs présentent un style général qui n’est pas celui du flamboyant, mais d’une époque antérieure. Pour notre part, nous les attribuons au XIVe siècle ; et nous avons entendu défendre également cette opinion par d’autre que nous, de façon nette.

Dans ces conditions, il est malaisé d’admettre le nom du comte Henri VII comme étant celui du personnage pour lequel la pierre a été réalisée. Mais on pense plutôt à son père, Henri VI, décédé en 1359 ou 1360.

D’autres détails confirment d’ailleurs cette opinion.
Les motifs décoratifs constitués par les deux enfants figurés au-dessus du gisant apparaissent manifestement comme étant d’une facture différente de celle du reste du travail. Ils offrent moins de finesse et moins de symétrie. Ils sont d’une autre main.

Ils se présentent aussi comme constituant une ajoute au dessin d’abord conçu et réalisé par l’artiste. Un effort sincère de l’esprit permet facilement de s’en rendre compte, et qu’il y a là un complément de décoration, qui a sa signification, sans doute, mais dont l’absence ne nuirait nullement à l’ensemble.

Cet ornement signifierait, a-t-on dit, des enfants morts tout jeunes, enfants du personnage représentés par le gisant.

Ce ne peut être le cas pour Henri VII. A son décès en 1415, on le sait formellement, celui-ci n’avait plus aucun héritier. Son épouse, Philippine de SCHOONVORST, était décédée déjà avant juillet 1399. à cette dernière date, trois enfants lui restaient, Henri, Jeanne, Marie, mais des enfants assez grands ; ils mourront sans descendance avant leur père. En 1415, celui-ci était donc seul, depuis plusieurs années déjà.

Comment, dès lors, expliquer que sur sa dalle mortuaire, confectionnée après 1415, on aurait fait mention, ultérieurement encore, de motifs rappelant des enfants décédés combien d’années avant leur père ?

Toutes ces considérations nous écartent de l’opinion selon laquelle la dalle concernerait Henri VII.

Mais il semble bien plus plausible de penser ici à Henri VI.
Celui-ci laissait une épouse, Mahaut de THUIN, qui lui survécut de plusieurs années, et au moins un fils, Henri VII ; tous deux ont pu se préoccuper, de la sorte et normalement, de la tombe de Henri VII.

Telle qu’elle a été mise au jour l’an dernier, la dalle gisait sous une couche de remblai, dans le chœur de l’ancienne église, près de l’autel ; sa disposition permet d’admettre qu’elle avait déjà été déplacée, avant d’être recouverte par le remblai, et pour servir à un usage autre que celui de couverture d’une tombe.

De ce fait, il y a lieu de déduire qu’elle ne se trouvait à cet endroit, invisible, depuis la construction de l’église en 1715.
Or, voilà qu’elle nous revient dans son état du début du XVIIIe siècle, c’est-à-dire avec de l’usure par les pas et dépourvue de sa décoration métallique.

Quelle était cette dernière ? Cuivre, bronze, argent ?

Quel serait le motif de sa disparition ? On peut émettre sans doute, à ce propos, plusieurs hypothèses.

Il ne serait pas exclu, croyons-nous, de penser qu’il s’agirait ici de faits de rapines et brigandage militaires.
Précisément, notre région a souffert, au début du XVIIe siècle, de bandes armées hostiles au culte catholique. N’a-t-on pas vu, en 1636, les Hollandais brûler la maison pastorale de Vielsalm et interdire la célébration de la messe dans l’église de Salm ? Et en 1631, d’autres bandes piller l’église de Saint-Martin (Bovigny) et la chapelle de Courtil ? Tant d’actes de violences ont été commis au siècle de malheur !

Le plan d’aménagement de la nouvelle église de Vielsalm et de ses abords comporterait, paraît-il, l’utilisation de la vieille dalle funéraire d’Henri VI. Elle serait encastrée dans l’un des murs de la tour.

Ce serait là une belle réalisation. Elle conserverait à Vielsalm, qui en a tant perdu, un beau vestige du passé.

Gaston REMACLE

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