jeudi 30 juillet 2009

« Vieu Chasteau » et « Vieille Saulme ».

(publié dans L'Annonce de Vielsalm, le 13 mars 1955)

Nous avons relu avec beaucoup d’intérêt l’étude de M. VANNÉRUS qu’a publiée ce journal dans ses deux derniers numéros, étude relative aux deux gâteaux de Salm-en-Ardenne.
Elle a retenu l’attention de bien des lecteurs.
Aussi, sans autre souci que celui de l’information, voudrions-nous verser au dossier de cette affaire des éléments complémentaires. Ils sont tirés d’une grande quantité d’archives des 16e et 17e siècles, que nous avons pu consulter, et dont ne fait pas état M. VANNÉRUS. Le lecteur pourra ensuite facilement tirer lui-même la conclusion.

Le « vieu chasteau ».

Qu’il y ait eu, à l’époque féodale, une forteresse à l’endroit devenu Vielsalm il n’y a pas à en douter.
On l’a dit déjà : la place de ce château nous est signalée par un record de justice du 18 novembre 1561 selon lequel « Gilles le Moulnier de la Vieille Saulme » a reçu héréditairement en fief le 9 septembre 1560, de la comtesse de Salm Elisabeth de HENNENBERG « la place appelée le Vieu chasteau gisant au dit Vielle Salm ».
Après 1560, cette dénomination de « vieux chasteau » s’est maintenue trois siècles encore à Vielsalm, et effectivement pour désigner l’endroit occupé actuellement par la villa de Madame MOUTON.
À ce sujet, nous avons recueilli dans les archives une série de mentions, parmi lesquelles les suivantes.

  • 1634. – « La succession féodalle » de « Maron vefve de feu Pier Gillet en son vivant mayeur consistant premièrement en la maison et chastesse situé à la Vielle Salm dit le vieu chasteau … ».

Pierre GILLET signalé dans ce texte est le fils de Gilles le meunier de Vielsalm, mentionné ci-dessus. Depuis 1560, une maison a donc été construite sur la place du vieux château, par Gilles ou son fils Pierre.

  • 1637. – « Gillet de Hottechamps assisté de Henry de Bodeux son beau fils […] vend et transporte à Collet Rosseau de la Vielle Salm […] sa parte et action des estableries, graingne, jardins aux arbres, et courtys derrier la dite graingne, de la maison et chaisteresse de ses beau père et mère situé au vieux chasteau, à la vielle Salm, derrier l’église … ».
  • 1664. – « Le 18 janvier 1664, par devant Prévost et hommes féodaulx du Comte de Salm comparant en personne le Sr Jean Salentin Pierrez mayeur de cestuy comté lequel at déclaré avoir vendu dez le 2 du mois 8bre de l’an 1662, à son beau frère Lambert Raymundy ce acceptant pour ses enfans procréez avecq sa femme, soeure au dit vendeur […] sa maison, appendice, et appartenances, cortys potagiers, jardins aux arbres extant aux granges, Estableries, et générallement toutte action qu’il peult avoir dans les Bastiments du vieux chetteau tant de son chef que frères et soeures, oncles, et cousins … sans rien exclure, ny horsmettre dans le circuit du dit vieux Chetteau, … ».

Jean Salentin PIERREZ qui vient d’être cité est l’arrière-petit-fils en ligne directe de Pierre GILLET. Lambert RAYMUNDY, liégeois d’origine, habitant Vielsalm, a épousé Anne sœur de Jean Salentin.
Après cette date, la place en question est l’objet de plusieurs successions et ventes. Une nouvelle maison y est bâtie vers 1665. Citons quelques textes :

  • 1674, 30 janvier. – « Anne vefve de feu Lambert Raymundy » achète aux orphelins Léonard BELHOMME de Rogery « la sixiesme parte du grand estable appartenant aux dits orphelins gisant sur le vieux chasteau […] Item la sixiesme parte de la gagière de la neuf maison et de son aisance gisante au même lieu dit vieux chasteau […] Item la sixiesme de la grange et estable des vaches au même lieu. Item la sixiesme parte de l’estable de moutons ioindant à la chavé et d’un costé à l’acquérante ».
  • 1696, 19 décembre. – « Le Sr Erich Adolphe Foccart prévost de la terre et comté de Salm pays de Luxembourg […] et dame Elenne Raymundy son espouse » (Hélène RAYMUNDY est la fille de Lambert RAYMUNDY, déjà cité), et le « Sr Jean Querin Doeumer et Elisabeth sa soeure » effectuent un partage selon lequel « la maison du vieux chasteau où ils résident la gagère de la neuve maison et générallement touts batimens scituez au dit vieux château avec les potggers et à herbe contenus dans son circuit sans aucune réserve ny exception seront et demeureront uniquement à sa dite soeure Jeniton … ».

Bientôt de nouvelles familles vont intervenir dans la propriété de l’endroit.

  • 1740, 28 juin. – « le Sr Jean Louis Coster cède au Sr Jean Raphaël bourgeois marchand résident à la Vielle Saulme […] une place de maison scituée au dit Vielle Saulme au lieu nommé le vieux château, joindant du dessous aux écuries du Sr Foccart et du deseur au jardin du Sr Louis Meurice procureur d’office moderne du comte de Salme … ».
  • 1776, 18 janvier. – « la demoiselle Marie Catherine Meurice veuve de Bartholomé Comté de Vielsalm […] et Pierre Meurice natif du dit Vielsalm résidant à Mont Petit Halleux, lesquels déclarent d’avoir vendu […] au Sieur Jean Bernard Otte mayeur et receveur du comté de Salme et au sieur Servais Lemoine marchand à Rencheux, ici présens acceptans un terrain et vieilles masures gisans au lieu dit le Vieux Château contigu derrière au Neuf Bâtiment construit par les acquerans au même lieu … ».









Jean Bernard Otte (1719 – 1793) finira par posséder à lui seul toute la place. Après lui, son fils Jean François Joseph (1760 – 1838), puis les héritiers de celui-ci jusque bien avant le 19e siècle.

  • 1835, 7 octobre. – « les habitants du bourg de Vielslam s’obligent solidairement à mettre à la disposition de l’entrepreneur qui sera chargé de la construction de la partie de cette route, depuis la maison du Sr Jean Nicolas Wathelet situé à Vielsalm jusqu’au mur qui ceint, vers le midi, la prairie ou enclos, nommé le vieux château, appartenant au sieur J.F.J. Otte de Vielsalm, toutes les corvées ou mains d’œuvre nécessaire pour enlever et transporter les pierres et terres existant sur ce point, afin d’opérer les déblai et remblai déterminés par les plans… ».

Ce dernier texte se rapporte au projet de construction de la grand-route de Trois-Ponts à Salmchâteau, qui ne sera toutefois réalisé que dix ans plus tard.
Malgré l’abandon du château avant 1362, puis sa ruine, le souvenir de cette demeure seigneuriale s’est donc conservé plusieurs siècles durant dans la toponymie de Vielsalm.

La « vieille Saulme ».

Le sens du déterminatif accompagnant le terme Salm pour composer le nom de Vielsalm devait être, aux 16e et 17e siècles, bien mieux connu que de nos jours ; on se trouvait en effet, à ce moment, plus près des origines de l’endroit.
Or, une quantité de documents de cette époque, dont ne fait pas état M. VANNÉRUS, donnent sans nul doute à ce déterminatif le sens de vieux.
Nous avons recueilli à ce propos une abondante documentation qu’il n ‘est pas possible de détailler ici.
Aux actes de la Cour de Salm, par exemple, George WIROTTE, qui est clerc juré de la Cour durant une trentaine d’années aux environs de 1600, mentionne toujours Vielsalm par « vieille Saulme ». ses graphies de cette forme sont innombrables. Or, Georges WIROTTE n’est pas un étranger dans le pays, ignorant du passé de Vielsalm ; son père et son grand-père étaient de Goronne où la famille WIROTTE se trouve déjà vers 1450.
D’autres documents de l’époque parlent même de « Salme la vieille ».
Un peu plus tard, à partir de 1636, les actes de la paroisse de Salm nous donnent aussi des indications intéressantes.
Dans ses actes de baptême, par exemple, et jusqu’à la fin de son pastorat en 1661, l’abbé Pierre GOMÉ, curé de Salm, mentionne toujours Vielsalm par « veteri Salma » ; il y a ainsi des centaines de mentions. Or, Pierre GOMÉ, lui aussi, connaît bien Vielsalm, parce qu’étant du pays et peut-être de Vielsalm même ; on rencontre des familles GOMÉ dans la région vers 1600, à Vielsalm, Cahay, Bêche.
Du 13 mars 1661 à 1700, les successeurs de Piere GOMÉ continueront de donner au déterminant viel le sens de vieux. Nous avons relevé dans les actes de baptêmes, pour cette période, 323 mentions de Vielsalm, soit 200 veteri Salma, 114 antiqua Salma, et 9 mentions en langue française (vielle Salm, viele Salm, viel Salm).
Par contre, à plusieurs reprises, apparaît la graphie Salma nova ; mais elle concerne Salmchâteau, ou plutôt une partie de cette localité. À cette époque, cette dernière localité comporte deux groupes habités considérés comme tout à fait distincts : l’un Bas château ; l’autre, signalé généralement sous le nom Salm, parfois comme « Salma nova », « Salmis de Castro », « Salma ad arcem ». avec le 18e siècle, le terme Salmchâteau finira par s’imposer.
D’autres considérations pourraient encore intervenir au sujet du passé de Vielsalm.
Ainsi, comment expliquer la présence du siège paroissial à cet endroit, déjà au 18e siècle pour le moins, sinon par le fait du voisinage de la demeure seigneuriale. De gré ou de force, dans l’esprit de l’époque, la vie du château aura fixé là le centre de vie religieuse.
Il est toutefois deux autres questions que n’aborde pas l’étude publiée de M. VANNÉRUS ; elles en dépassent d’ailleurs le cadre.
D’une part, que signifie le terme SALM, et comment expliquer sa présence dans l’appellation de Vielsalm ?
D’autre part, qu’y avait-il, avant la construction du château, sur le promontoire ayant servi de berceau à la localité ?
Deux problèmes intéressants pour l’histoire de la localité et de la région.

Gaston REMACLE

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