dimanche 26 juillet 2009

La Salm est-elle la Salm ?

(publié dans L’Avenir du Luxembourg, le 4 février 1947)

Un problème toponymique au pays de Salm.

Deux billets parus dernièrement dans l’ « Avenir » ont émis des doutes au sujet de la dénomination de la rivière appelée « La Salm », et ils ont invité à donner notre avis à ce sujet.
Il s’agit bien là, en effet, d’un point intéressant de l’histoire régionale. Il vaut la peine qu’on s’attache à l’éclairer. Fort modestement, dans les lignes qui suivent nous apporterons notre opinion, avec la seule ambition de servir la vérité et d’aider à faire mieux aimer notre petite patrie salmienne.

Sans autre préambule, disons immédiatement que, malgré l’opinion courante d’aujourd’hui, notre Salm n’est pas la Salm.

La rivière que sur les cartes et à l’école on dénomme Salm a, depuis environ un siècle, perdu sa vraie et antique appellation.
Quelque scribe, certain jour, ignorant l’histoire et la toponymie régionales, l’a notée Salm, comme il a mutilé, au cadastre, combien de termes toponymiques. Et le nom de Salm décerné de la sorte à la rivière, reproduit, multiplié dans les documents basés sur cette graphie, est resté. L’enseignement l’a consacré.

Qui se souvient encore, au pays de Salm, du vrai nom de notre rivière ? Et pourtant, moins d’un siècle s’est écoulé depuis cette substitution.
Non, la Salm n’est pas la Salm. La Salm, de son vrai nom, et bien, c’est … le Glain !
Quand, il y a bien plus d’un millénaire, notre rivière a reçu un vocable propre par les populations d’alentour, c’est Glain qui devint le terme choisi.

Ce serait à prouver, va-t-on dire. Chose facile, croyons-nous. Ne citons pas ici, à cet effet, de mentions documentaires : le cadre de cet article ne s’y prête pas. Il serait aisé, pourtant d’en présenter un bel exemple, portant sur treize siècles.

Bornons-nous à puiser, dans la toponymie actuelle même, le long de la rivière en question, des signes qui ne trompent pas. Qui ne pourrait les vérifier ! Voici.

Le pont à proximité de l’entrée Sud du tunnel de Trois-Ponts, s’appelle toujours le pont de Glain.
Un lieu-dit de la commune de Grand-Halleux, bordant notre rivière, c’est à Glain. Un autre, à Salmchâteau, se dit Fosse à Glain. Plus en amont encore, à proximité de l’ancien village de Glain on trouve Fag de Glain. Et encore, non loin, Fond de Glainchamps.

Qu’on le remarque. Ces dénominations sont actuelles. Elles s’échelonnent tout le long de notre cours d’eau. Et peut-être y en aurait-il d’autres encore du genre si l’on cherchait bien.

Elles constituent les restes authentiques, les débris épars d’une seule dénomination implantée de la source à l’embouchure et qui, malgré les copistes négligents et ceux qui leur ont fait confiance, n’a pu être arrachée jusqu’ici du traditionnel et populaire langage.

Est-ce assez ? Car les documents historiques apportent, eux-aussi, une confirmation, dans le même sens. Pour s’en persuader, il suffirait de consulter les plans cadastraux des communes de Vielsalm et de Grand-Halleux. C’est convaincant. Et l’on se demande quelle désinvolture, d’un autre côté, a ignoré de telle sorte l’histoire.

Voilà donc qui est fixé. Le vieux Glain, déjà ainsi dénommé en 670, a perdu son identité originelle. Depuis le siècle dernier, le Glain est devenu la Salm.

Il faut le déplorer, certes. Et oserait-on jamais espérer voir les sphères officielles reconnaître la vérité et rendre à notre rivière son authentique appellation d’origine ? Pourrions-nous ne pas en formuler le vœu ?...

Mais si la Salm n’est pas la Salm, la question n’est pas résolue ? Effectivement. Elle ne fait que rebondir. Ou plutôt elle pose de nouveaux points d’interrogation, plus mystérieux et plus troublants.

Car il est entendu, n’est-ce-pas, dans l’opinion courante, que la rivière dénommée actuellement la Salm, et parce que Salm, aurait prêté son nom à tout ce qui, dans les limites de l’ancien comté, pore ou a porté le nom de Salm : famille seigneuriale, château, bourgs de Vielsalm et de Salmchâteau. Opinion erronée, nous le savons maintenant, puisque la rivière en question s’appelait Glain et non Salm.

Comment la rivière aurait-elle donné à la terre environnante et à ses maîtres un nom qu’elle ne possédait pas ?

Mais alors, d’où viendrait cette appellation de Salm, restée pour désigner, après l’ancien comté et ce qui s’y rapporte, notre région actuelle ?
… Il est un ruisseau, guère inférieur en importance au Glain, qui de l’Est à l’Ouest, coupe le primitif comté de Salm en deux parties presque égales.

Son nom ? À l’école, il reçoit celui d’ « eau maréchale », de « ruisseau de Petit-Thier ». au cadastre, diverses appellations s’échelonnent tout le long de son cours : « ruisseau de Hermanmont », « ruisseau de Beaufays », « ruisseau du Moulin de Petit-Thier », « ruisseau de devant Tinseubois ». Comment tant de dénominations ! Plutôt, comment est-il dépourvu de nom, car cette diversité même d’appellations témoigne de l’ignorance d’un nom fixé. Comment, depuis plus de deux mille ans que la région est habitée, ce ruisseau est-il resté anonyme ? Les hommes ont pourtant toujours cherché à dénommer les choses.

En réalité, ici encore le mal vient des copistes officiels. Car le ruisseau a reçu un nom. Celui que la fidélité du langage local, sans s’en douter, va nous permettre de reconstituer.

Ces considérations nous écartent de notre soucis présent, Salm, dira-t-on. Que non ! Et précisément, nous y touchons.

Car notre ruisseau a sa source la plus importante à un endroit qui s’appelle toujours vîf-sâm, au-dessus de Tinseubois.

Un lieu-dit, sous Petit-Thier, est « sur Salm ». un autre, plus bas, entre Beaufays et Ville-du-Bois, toujours sur le passage de notre cours d’eau, c’est Sâmfa. Il y a même une légende qui place Ville-du-Bois « sur la Salm ». Ce n’est pas tout.

Plus bas encore, juste contre cette eau venant de vîf sâm, il y a le promontoire rocheux, aujourd’hui déformé, et sur lequel s’établit le premier château des comtes qui prirent le nom de … Salm. Ce promontoire, ce château, puis tout contre une chapelle primitive, puis peu à peu un bourg, on l’a deviné, c’est l’ancien Vielsalm.

En faut-il davantage ? De la source à la rencontre avec le Glain, Salm se retrouve sur tout le cours du ruisseau. Et en même temps – comment hésiter encore devant un tel ensemble – Voilà que nous apparaît la provenance du terme Salm qui s’est fixé dans l’appellation de l’ancien château, de la famille seigneuriale déjà vers 1035, de son domaine, de l’ancienne paroisse, de Vielsalm, de Salmchâteau, et qui s’est même substitué à celui de la rivière Glain.

On n’hésite plus quand on sait ce phénomène humain selon lequel bien des habitats ont pris le nom de la rivière au bord de laquelle ils se sont établis.

La vraie Salm, c’est le ruisseau de devant Tinseubois, de Beaufays, de Hermanmont, jusqu’au Glain sous Rencheux.

Un détail encore. Ce terme Salm n’aurait-il pas un sens ? On a voulu l’expliquer par les prétendus saumons des armoiries de Salm. C’est de la fantaisie. Seule une analogie de forme et de phonétique rapproche Salm et saumon. En réalité, Salm est un terme hydronomique d’origine pré-romaine, celtique ; il se rencontre un peu partout. Rien d’étonnant, en tout cas, qu’il se rencontre en notre région, celle-ci ayant été habitée bien avant la période romaine.

Faut-il ajouter, détail intéressant, qu’en ces temps reculés le ruisseau de vîf-sâm, comme d’autres de la région, a vu sur une partie de son cours des recherches aurifères dont on trouve encore actuellement des traces.

Et nous voilà fixés. Il faut donc laisser les supputations fantaisistes sur la provenance du mot Salm employé chez nous. Et, dès lors, rejeter également comme telles les données historiques qui reposent sur elles.

Gaston REMACLE

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