mercredi 29 juillet 2009

Vieux chemins au pays de Salm.

(publié dans Excelsior, 2e trimestre 1954-1955)


« L’histoire et la géographie locales, le folklore, la littérature régionale
sont les premiers éléments d’une vraie culture humaine
».
Ernest
NATALIS, professeur à l’Université de Liège.


Les environs de Vielsalm sont habités depuis plusieurs milliers d’années. Des vestiges de peuplades antiques constituent la preuve de cette présence humaine.
Sans remonter jusqu’à la préhistoire, plus près de nous déjà la période romaine nous a laissé des traces sérieuses d’activité.
Je voudrais particulièrement attirer ici l’attention sur celles que constituent les chemins.

Après la conquête de la Gaule du nord, les Romains se préoccupèrent immédiatement d’ouvrir la masse presque impénétrable de la forêt d’Ardenne. Ils y édifièrent quelques grandes voies, capables de permettre l’administration civile et militaire.
Ainsi, dès le premier siècle de notre ère, s’établit non loin d’ici la voie Reims-Cologne, passant par Bastogne, Bellain, Audrange, et vers Amblève.
A ces voies principales vint se raccorder tout un réseau de diverticules, servant de trait d’union entre les diverses exploitations, agricoles ou industrielles, et parfois les ouvrages de défense. Ils consolident ou complétaient une voirie plus ancienne, venant parfois du fond des âges.

D’une façon générale, ces chemins de raccordement ont continué d’être fréquentés au cours du moyen âge ; beaucoup d’entre eux, même, ont laissé de leurs traces visibles jusqu’à nos jours. C’est le cas, par exemple, pour notre région, où les routes actuelles les plus importantes ne comptent qu’un siècle d’existence ou même moins (La route de Salmchâteau à Trois-Ponts est de 1846, celle de Vielsalm à Poteau de 1865).
On connaît les grands principes de la voirie romaine : autant que possible garder la ligne droite et se maintenir sur les hauteurs afin d’assurer la vue sur le territoire à surveiller Fallait-il descendre en plaine ou franchir un ruisseau ? Vite, on passait, on gravissait la côte opposée, et l’on reprenait la hauteur.

(Voyez, par exemple, sur le carte ci-jointe, comment les routes actuelles ont tendance à suivre les vallées tandis que les anciens chemins coupent perpendiculairement ces vallées. Le Glain est ainsi franchi sept fois, et le ruisseau de Petit-Thier trois fois.)





il n’est donc pas impossible de reconstituer, par un examen patient des vestiges marqués au sol, l’itinéraire de certaines routes des premiers siècles de notre ère. Y parvenir c’est trouver là une révélation de l’activité de l’époque.

Cette recherche découvre ainsi des centres de rayonnement, et donc de vie, parfois bien insoupçonnés. C’est ce qui se manifeste pour notre région.

Vous étonnerai-je, par exemple, en signalant, comme pareil centre de rayonnement, le thier au-dessus des Quatre-Vents près de Neuville-Vielsalm ?

Plusieurs vieux chemins s’en détachent dont certains, par le passage au sommet du thier, se dirigent vers le sud. L’un court vers Audrange en s’approchant de Beho. Un second descend vers Bêche, franchit le Glain près de Salmchâteau, remonte, se dirige vers Langlire après avoir voisiné Provedroux. Un autre s’en est séparé à Gottale, gagne Cierreux et plus loin. Un autre encore, vers l’est, conduit à Hinderhausen et Saint-Vith, par Burtonville. Un cinquième s’engage vers Ville-du-Bois où une bifurcation, près de l’église, le porte d’une part vers Malmedy, d’autre part vers le nord-est par Petit-Thier et Recht. Enfin, un dernier dévale de Cahay, constitue la rue Général Jacques à Vielsalm jusqu’à Sous-Bois ; ici, une branche escalade le Thier-de-la-Justice vers Stavelot, tandis qu’une autre branche atteint Lierneux par Rencheux, Goronne et Menil.

Qu’en conclure, sinon qu’il y a eu là, au-dessus de Neuville, il y a plus de quinze siècles, une activité expansive et sérieuse. Et comment l’expliquer si ce n’est par l’exploitation de la richesse de l’endroit, le schiste ardoisier.
On sait d’ailleurs qu’à ce moment l’emploi du schiste ardoisier pour toitures est chose réelle en nos régions et, par exemple, qu’on a retrouvé des ardoises dans les ruines de villas romaines, à Sommerain, près de Limerlé, et près de Bourcy.

Plusieurs localités apparaissent également comme centres de rayonnement de chemins établis selon les principes de la voirie romaine. Ou plutôt, comme points de convergence de ces chemins.

Je signale, à ce sujet, Audrange, Lierneux, Langlire.

Audrange se place sur le tracé primitif de la grande voie Reims-Cologne. Vers cette localité accourent plusieurs diverticules. De Stavelot, par Poteau (Petit-Thier) ; ce chemin suit la crête constituant la ligne de partage des eaux Meuse-Moselle. Des Quatre-Vents, comme indiqué ci-dessus. Du nord-ouest, par Rochelinval, la Croix-de-Tigeonville, Petit-Thier, les abords de Commanster. De Langlire, par Bovigny centre, Belvâ, Saint-Martin, Lamerlé. De l’est, par la fagne de Bihain, puis le relèvement du terrain entre les communes de Bovigny et de Limerlé.
A Lierneux se raccordent aussi plusieurs voies antiques, à travers champs et bois. De l’est, par Recht, Hour, Farnières, Menil. Des Quatre-Vents. De Langlire. De la direction de Bihain. Etc. Lierneux est l’une des plus anciennes localités de chez nous.
Quant à Langlire, nous venons de le citer à plusieurs reprises. A son sujet, je mentionne en outre un vieux chemin venant de Stavelot par Farnières, Goronne, le Crin-do-Sart, le moulin KOOS, et que cite formellement un document de 896.

« Suivez des yeux les vieux chemins qui vous ramènent de l’horizon… », a écrit quelqu’un, « et venez avec confiance chercher l’homme au rendez-vous commun qu’ils se sont donné ».

Nos routes modernes accaparent les faveurs des gens pressés que nous sommes. Et les vieux chemins tombent de plus en plus dans l’abandon. La forêt, les travaux de l’homme, et peu à peu l’oubli, les reprennent.
Pourtant, beaucoup de leurs empreintes visibles se révèlent encore à des yeux de réflexion. Une ornière, un talus, un buisson, une souche, une pierre même constituent des signes révélateurs. Il y a eu là une vie.

Parfois, le hasard d’une fouille vient apporter aussi son témoignage. C’est une tombe, ou des monnaies, ou quelque autre objet qui, enfoui depuis deux millénaires, est ramené au jour.

Le trésor retiré en 1953 de la fontaine du pouhon à Hour ne témoigne-t-il pas en faveur du chemin qui franchit le Glain à quelques pas de la source ? Et toutes les tombes, çà et là ?
Dans la montée vers Farnières ; à plusieurs endroits de la commune de Bovigny ; entre Ville-du-Bois et Petit-Thier ; et ailleurs.

Tombes isolées, ou vrais cimetières. Je signale particulièrement, à ce propos, un ensemble de plus de trente tombes romaines entre Bihain et Hébronval ; et un autre, aussi important, entre Courtil et Gouvy, bien antérieur celui-ci à la période romaine. Le vieux chemin tout proche y trouve confirmation de son ancienneté.

Restons-en là. Mon dessein n’était pas de relever ici toutes les anciennes voies de chez nous. Car il en est d’autres encore. Leur description détaillée dépasserait de loin le cadre des présentes notes. Mais on voulait seulement éveiller l’attention à leur sujet.
Les vieux chemins vous intéressent-ils ? Ils ne tarderont pas à vous manifester leurs grandes volontés : la recherche des ligne de faîte, et l’allure rectiligne.

Ils témoigneront d’une connaissance approfondie du pays. Ils évoqueront une pénétration, dans la vie sociale du temps de leur origine, plus profonde même que celle des chemins de fer au siècle dernier.

Allez à leur découverte. C’est passionnant. Un tumulte vivant dort en souvenir sur le silence actuel de leurs traces.
Et c’est un peu l’âme de ceux qui nous ont devancés que vous trouverez dans ces choses.

Gaston REMACLE

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