samedi 31 mars 2012

VIELSALM DU TEMPS DE MON ENFANCE (2)

(Le n° (1) est paru dans L’Annonce de Vielsalm du 9 mars dernier)


Revenons sur nos pas pour parler du côté droit de la route appelée en ce temps Rue de la Station.
La grosse propriété Turner (27) était la première. Je savais que Monsieur Turner était une sommité en matière de forêt car j’entendais souvent mon papa dont le bois était une passion parler de lui avec respect et admiration. La propriété suivante était celle du Dr Bodson (25). J’y étais allé une fois pour des maux de gorge, d’oreille ou de nez et j’avais été frappé de voir le grand nombre de fioles qui se trouvaient dans son cabinet. Sur le talus qui longeait ces propriétés, les gosses, à force de s’y déplacer, avaient fait une sorte de sentier, un peu comme dans les champs, les vaches passant toujours au même endroit finissent par creuser un passage où l’herbe ne pousse plus. Après donc la nouvelle construction de chez Rinck, un espace resté très longtemps non bâti et un bâtiment (21) constituaient le dépôt des matériaux de construction de Clément Englebert. Nous arrivons ainsi chez Recken-Poncin (19) magasin de meubles, menuiserie et pompes funèbres. La camionnette noire Chevrolet servait indifféremment pour toutes les activités. Madame Recken, de surcroît, confectionnait des matelas. Elle est venue en faire un chez nous à partir d’un énorme tas de laine de mouton : ça l’avait bien occupée trois journées complètes. Mais comme j’avais été prié de me tenir à l’écart pour ne pas déranger, je n’ai rien vu de sa façon de faire. C’était la pédagogie de l’époque. A côté ( 17) habitait la fille, Jacqueline, qui avait épousé Eugène Olimar, bien plus âgé qu’elle et venu faire son service militaire à Rencheux. C’était un de nos instituteurs. Son village, Udange, à 5 km d’Arlon et sa longue captivité en Allemagne durant la guerre étaient ses deux sujets de diversion préférés. Nous excellions d’ailleurs pour l’aiguiller vers l’un ou l’autre et il ne manquait pas d’en tirer des morales qu’il aimait nous asséner. Un jour d’hiver alors que nous faisions du traîneau dans les Chars-à-Bœufs – nous descendions d’au-dessus de chez Colson jusqu’à la gare- nous dévalons en toboggan de 5 ou 6 luges attachées et nous traversons la grand- route – peu fréquentée surtout en hiver – au nez et à la barbe de Mr Olimar venu poster une lettre. Que n’avions-nous pas entendu le lendemain sur cette imprudence : la dictée et les fractions avaient été reportées sine die. A côté, mais à l’arrière, un grand hangar servait d’entrepôt à Odon Cottin et de garage à Jean Choffray. Devant celui-ci une épicerie COOP
( 15), la Coopérative disions-nous, qui était d’obédience socialiste et tenue par Madeleine Nicolet. Jean Choffray (13) exerçait la rare profession de déménageur, très longtemps avec un antique camion allemand puis dans un rutilant Volvo bleu orné au-dessus de la cabine d’un magnifique cerf peint. Il était aussi apiculteur et avait ses ruches Sous les Roches à Sous-Bois. Nous lui achetions évidemment le miel car Jean était le cousin de mon papa et celui-ci travaillait souvent avec lui pour mettre du beurre dans les épinards. L’étiquette des pots de miel faisait toujours mon admiration. Son rez-de-chaussée commercial ( 11) fut occupé notamment par le pharmacien Laloire puis par un magasin Spar tenu par la femme d’André Jeunejean notre (presque) voisin de la gare. On trouvait ensuite la maison d’un docteur Noêl ( 9 ) à la nombreuse famille, le bureau d’un agent d’assurances débutant : François Paquay (7), nœud papillon, barbichette et Renault 4CV, le garage Rose ( 5 )dont je ne crois pas qu’il vendait des voitures mais s’occupait plutôt d’entretiens et réparations, le café tenu par chez Jacoby ( 5), la boucherie de Robert Francis ( 3 ) qui habitait avec sa sœur Mimie et le magasin de confection pour hommes « Au Drapeau Belge » de Jules Martin (1). Celui-ci eut la première Citroën DS19 à Vielsalm et son frère Raymond était l’heureux propriétaire d’une splendide voiture de sport, une Triumph TR3 qui faisait notre admiration.



A SUIVRE/ RN

Note de l’auteur
Chaque semaine, des lecteurs de l’Annonce me disent qu’ils ne se souvenaient pas de telle ou telle chose que j’écris mais s’étonnent que je ne cite pas telle ou telle autre chose, comme par exemple les chaussures Winand et du fils, un joli curé !
C’est l’occasion de redire que ceux qui ont d’autres souvenirs seraient bien inspirés de prendre la plume pour compléter les miens. Qui va enfin se lancer ?

Les ceux de chez nous

T.S.F. = Trésors Sans Fin

Des collectionneurs, il y en a de toutes les sortes. Ils peuvent être modestes ou opulents, généraux ou spécialisés, avides ou désintéressés, maniaques ou dilettantes, sympathiques ou teigneux. Celui que j’ai rencontré récemment à Gouvy est tout bonnement extraordinaire et lorsqu’on pénètre dans ses pièces d’exposition on a l’impression d’entrer dans la caverne d’Ali Baba tant les trésors sont partout, nombreux et variés.



Ce collectionneur, c’est Victor Trembloy qui a habité plusieurs années à Vielsalm, rue de la grotte, dans la maison juste à côté de chez Wansart et où l’on avait fabriqué jadis du savon, à un moment où son père travaillait à l’entreprise Halbardier. Lui-même a fait une grande partie de sa carrière pour l’armée allemande installée à Bovigny et l’a terminée au parc à conteneurs de Gouvy. De tous temps, il gardait toutes sortes d’objets mais depuis sa mise à la retraite il y a six ans il est passé dans la collecte de ces objets à la vitesse supérieure.

C’est ainsi qu’il possède maintenant plus ou moins 700 anciens postes de radio, tourne-disques et enregistreurs dont 450 en état de marche ! Quel plaisir de retrouver parmi ceux-ci des appareils similaires ou proches du « poste de T.S.F. » que nos parents possédaient et qui était alors le seul lien avec le monde extérieur. Rappelez-vous, outre les journaux parlés et le quart d’heure du sport, la famille Duraton, Geneviève Tabouis et ses dernières nouvelles de demain, Zappy Max, et tant d’autres émissions. Pour réparer les postes qu’il reçoit, il dispose d’un stock de 3500 lampes de tous modèles et de toutes marques. Parmi ces appareils, un rare PARLOGRAPH de 1913, assimilable à un dictaphone, qui lui a été offert par un second résident de la commune.

Victor possède aussi environ 11000 disques 78, 45 ou 33 tours. Un magnifique gramophone La Voix de son Maître lui permet d’écouter les premiers. Je dis environ 11000 car il ne les compte que sur 20 cm et par une simple règle de trois faisant intervenir la longueur totale des rayonnages, il obtient un nombre approximatif.

Il possède aussi, principalement, plus de 15000 livres (dont des livres de poche, des BD, presque tous les Spirou reliés mais aussi des livres anciens (XVIIème siècle), des livres rares, régionaux ou autres, des romans, des encyclopédies, de toutes les éditions et de tous les formats), environ 400 bouteilles anciennes de brasseries régionales, des quantités de cartes postales anciennes dont celles qu’il préfère, les Bonne Année, Joyeux Noël, Joyeuses Pâques et autres occasions sont mises en albums, des jouets anciens et des voitures miniatures.

En fait de voitures, il ne possède pas seulement des modèles réduits mais plusieurs voitures accusant déjà plusieurs décennies : une Renault Dauphine, une grosse Plymouth, une Renault 10, un camion Renault de l’armée, trois Renault 4CV dont une parfaitement restaurée qui passe chaque année le contrôle technique sans problème et dont l’immatriculation est toujours la même depuis 1957, un paquet de pièces de rechange pour les 4CV et enfin – mais j’ai certainement oublié des choses tant il y en a – 25 scooters Vespa dont 10 en état de marche. Avec Jacques Close et Vincent Paliseul, Victor Trembloy avait créé le cercle de collectionneurs d’anciennes voitures ça rôle co. Mais il a abandonné complètement ce club lorsque celui-ci a pris trop d’importance et a cessé d’être un groupe de copains qui s’amusaient entre eux.

Victor est un collectionneur hors du commun en ce sens que si quelqu’un voit chez lui un disque par exemple qu’il cherche depuis longtemps ou qui lui rappelle un souvenir particulier, il n’hésite pas à le lui offrir ! Il arrive que certains visiteurs, séduits par cette collection, lui apportent qui un poste de radio, qui un tourne-disques ou tout autre appareil lors d’un passage ultérieur. Car ses collections sont visitables, gratuitement de surcroît. Victor a la chance de posséder à Gouvy-village une maison qui dispose d’un accès à la rue du centre et deux niveaux plus haut d’un autre sur la grand route. Toutes les pièces de ces deux niveaux sont munies de rayonnages et bourrées d’objets.

Je ne peux que vous inciter à aller voir tous ces trésors : ça vaut le petit déplacement et le guide est affable, compétent et sa passion pour les vieilles choses le rend bien sympathique. (Victor Trembloy , 3, rue du Centre à Gouvy, Tél.080/51 73 00)

Robert NIZET

mercredi 28 mars 2012

SEGNIA (Nouveau) !

Vient de paraître le premier fascicule (mars 2012) du tome XXXVII.

Au sommaire : un très bel article de feu Georges TURNER (grand-père du Notaire Pierre COTTIN) sur le « Projet d’aménagement des propriétés de la Commission communale d’Assistance Publique de Bruges, situées en Ardenne ». Il y traite des Domaines de la Cedrogne, du Ponçay, de Grand-Halleux.

Un article de Louis DISLAIRE sur « Le bois à Houffalize », et les souvenirs familiaux de Maguy ROSIÈRE-MARENNE.

Cercle SEGNIA : 061/28.84.72

samedi 24 mars 2012

VIELSALM DE MON ENFANCE (1)

L’article décrivant le quartier de la gare de mon enfance et paru en deux parties les 30 décembre et 6 janvier derniers a intéressé pas mal de lecteurs de L’Annonce. Dès lors, comme personne n’a pris la suite, je reprends mon clavier d’ordinateur pour décrire cette fois, mais moins systématiquement, le centre de la localité dans les années cinquante, en gros celles de mon école primaire. Moins systématiquement parce que je ne connaissais pas tous les habitants de chaque maison. Ici encore, ce sont mes propres souvenirs que j’écris et les lecteurs en ont bien sûr d’autres. Il ne leur est pas interdit de prendre la plume eux aussi. L’expérience nous montre que certains souvenirs ne collent pas toujours à la réalité et que d’autres sont entachés d’erreurs commises de bonne foi.

J’habitais donc au quartier de la gare et lorsqu’il s’agissait d’aller au centre, nous allions « à Vielsalm » . Et à Vielsalm je m’y rendais pour aller à l’école (communale), faire certaines courses comme à la poste et aussi pour aller à la messe.


{ Actuelle Avenue de la Salm ; entre ( ) les n°s actuels des maisons }

Quittant donc le quartier de la gare nous trouvions sur notre gauche pour descendre vers l’embranchement de la place de la cabine la grosse propriété du Baron Janssen où étaient hébergés des chevaux de la chasse à courre. Chaque jour, deux employés faisaient faire un tour plus ou moins long aux chevaux. Devant les écuries s’élevait un tas de fumier- beaucoup de paille et peu de crottin, odeur caractéristique- augmenté chaque jour lors du changement de litière. Et régulièrement, peut-être une fois par quinzaine ou une fois par mois, le tout était chargé sur un gros camion avec remorque qui transportait la précieuse matière vers les champignonnières limbourgeoises. Le jour de la saint Hubert, le 3 novembre, la propriété était le théâtre d’une grande animation car le banquet s’y tenait. Dans le parc et devant l’immeuble stationnaient de très nombreuses voitures d’exception dont au moins une dizaine de Roll-Royce de diverses années. Un jour, je me suis attardé pour admirer ces belles mécaniques et je suis arrivé en retard à l’école : je fus tancé d’importance par Mr Olimar !

Juste à côté venait la pharmacie de Maurice Misson (40), petite construction sans étage : la famille habitait ailleurs. Ensuite la demeure du Dr Jean Misson( 38). C’était notre médecin dans ma toute première enfance. Mais à l’âge de deux ans et demi je fus opéré de l’appendicite et le Dr Misson m’arracha le pansement avec une telle brutalité que lorsque je le voyais j’étais pris d’une véritable terreur et hurlais tant que je pouvais. Mes parents furent bien obligés de me faire soigner chez un autre médecin !

Avant le magasin de meubles, poussettes, voitures d’enfant de Clément Rinck
( 34 ) qui s’est déjà agrandi de l’autre côté de la rue, il y avait un vieux bâtiment (36) servant de grange et de bergerie à une vieille dame Andrianne qu’on appelait Tante Alice. Je l’ai vue garder 3 ou 4 moutons, emmitouflée dans une vaste houppelande dans un champ situé au-dessus de la gare et ce bien au-delà de la Toussaint. On aurait dit une pauvresse alors qu’en réalité elle était bien nantie mais plutôt avare. Ce champ, mon père lui achètera plus tard.

Plusieurs maisons plus bas nous voici chez l’horloger- bijoutier André Contor.
(18). A l’occasion de ma communion, mon parrain m’emmena chez lui pour l’achat de la traditionnelle montre. Le fait qu’ils avaient fait leur service militaire ensemble fut une bonne raison de marchander et d’obtenir une petite remise ! Ensuite, chez Juliette Nicolet (16) : tabac, cigares, instruments de musique, disques et chansons. La façade s’ornait d’une magnifique enseigne en fer La Voix de son Maître qui, plusieurs années plus tard, fut la proie de voleurs. A côté, nous voici chez Marcel Chauveheid (14) qui imprime L’Annonce de Vielsalm et tient avec son épouse une librairie-papeterie. A la vitrine était présentée une des premières BD de Jean Graton Ca s’est du sport. Je la regardais chaque fois que je passais et Saint Nicolas s’en aperçut car le 6 décembre suivant, elle était dans mon assiette. J’entrais de temps à autre chez Chauveheid pour porter les pronostics PRIOR (dans une enveloppe avec l’argent) de l’instituteur Joseph Talbot. Plus bas, le magasin de tissus d’Emile Goosse (10) aidé par sa sœur Mathilde puis celui du bourrelier-sellier ( 8 ) Jacoby où mon père acheta une belle et solide canne pour les noces d’or de mon grand-père. La gendarmerie (6) était un gros bâtiment avec porte cochère à droite. Le commandant s’appelait Ludovici et un des gendarmes Gérard qui habitait dans la rue du parc et avait des enfants de mon âge. Désaffecté par suite de la construction de la nouvelle gendarmerie, ce bâtiment deviendra le siège de la menuiserie Vonèche et sera détruit par un violent incendie qui aurait pu tourner à la tragédie si Jean Choffray n’avait pas amené son camion contre le bâtiment en feu pour permettre à toute la famille d’échapper aux flammes. Chez Waty (2) clôturait la rangée de maisons. Mr Waty s’occupait de cuir, je crois qu’il avait un atelier à Malmedy, et avait aussi un élevage de poules. Nous sommes allé y chercher nos œufs tout un temps : ils présentaient la particularité d’avoir presque tous deux jaunes. Il tenait aussi quelques moutons qu’un jour Aimé Collignon laissa s’échapper mais ceci serait un épisode à part entière.
L’arrière de toutes ces maisons donnait sur les Doyards, à l’époque terrain vague et marécageux : n’étant pas pêcheur, je ne m’y aventurais pas.

A SUIVRE / RN

DEUX RÉSISTANTS ET UNE ÉNIGME

La seconde guerre mondiale n'a pas fait à Vielsalm des destructions massives ni d'importants massacres de population. La localité n'a pas pour autant traversé l'épreuve sans pertes matérielles et humaines. Parmi ces dernières, on trouve le nom de deux résistants au destin bien différent. Grâce à son nom donné à une rue, la population actuelle connaît Freddy Wampach ou tout au moins en a entendu parler. Quant à l'autre, Roger Nizette, il est pour tous hors du cercle de la famille, des connaissances et des voisins, un inconnu.

Frédéric dit Freddy Wampach est né à Priesmont – Vielsalm le 15 octobre 1903.Une plaque commémorative a été placée sur la façade de sa maison natale. Après son service militaire au 12e régiment de Ligne, il entre dans le secteur des assurances et se marie. Le couple s'installe à Woluwé-St-Lambert et aura un fils.
En 1940, lors de la mobilisation, il est affecté à la garde territoriale et est chargé de la surveillance des voies de communication. Après la capitulation le 28 mai 1940, il se dirige vers La Panne où, avec huit autres, il parvient à se procurer une embarcation pour se rendre en Angleterre. Recueillis par un destroyer britannique, il retrouve d'autres belges au Pays de galles. En 1941, il intègre les « missions spéciales », c'est-à-dire les commandos. Quatorze mois d'instruction serrée lui valent un brevet de parachutiste-radio et un nom de code : Vermillon.
Parachuté en France le 10 septembre 1941, il entame une périlleuse mission de renseignement à l'insu de l'occupant allemand et du régime de Vichy. Durant plus de six mois, il accomplit sa tâche sans rencontrer d'obstacles majeurs. Mais le vent va tourner : le 17 mars 1942, il est surpris près de Bergerac alors qu'il est en train d'émettre vers Londres. Il semble qu'un de ses compagnons ait commis une imprudence. Emprisonné à Châteauroux, il ne parle pas malgré la torture. Condamné à la détention perpétuelle en juillet 1942, il est conduit à Bergerac puis à Périgueux. Durant des mois il mûrit un projet d'évasion. A peine échappé, les Allemands conscients de son efficacité, donnent l'alerte jusqu'en Belgique. Sa tête est mise à prix et son portrait affiché partout en Belgique et en France. Il arrive dans la région de Ath où un industriel de l'endroit l'héberge et lui permet de se rétablir tout en menant des actions de sabotage ou de vols de documents à l'ennemi. Il va ensuite se cacher du côté de Hannut où il rencontre un soi-disant chef de groupe de la résistance qui se fait fort de le renvoyer en Angleterre par l'entremise d'un faux responsable de réseau d'évasion et vrai collaborateur, agent du contre-espionnage allemand. Le jour du départ, le 10 septembre 1943, Freddy Wampach monte dans une voiture avec cet agent double qui s'arrête en un point convenu avec la Gestapo. Celle-ci n'a qu'à le cueillir. Il est interné à la prison de St-Gilles et le 10 décembre 1943 est fusillé au Tir National à Schaerbeek. Il recevra à titre posthume de nombreuses décorations anglaises et après la guerre, le 24 septembre 1945, son corps sera transféré au cimetière de Vielsalm


Roger Nizette né le 3 mai 1924 habite à Salmchâteau avec sa mère et ses trois sœurs; le père est décédé. En 1942, il entre dans l'Armée secrète, sous-secteur Hoss et au début de 1945, c'est lui le chef du poste Croix-Rouge de Salmchâteau chargé de venir en aide aux civils en cas de bombardements. Nous sommes en plein dans l'offensive dite des Ardennes. Les troupes allemandes ont repris Salmchâteau le 19 décembre et depuis, chaque jour, la famille Nizette reçoit la visite d'un S.S.. C'est évidemment très inquiétant. Le 4 janvier, les Allemands ordonnent à la famille Nizette de quitter leur maison : elle se rend au château de Sainte-Marie, à quelques centaines de mètres, où elle sera hébergée dans une des caves
Le lendemain 5 janvier, deux soldats allemands en armes procèdent à l'arrestation de Roger. Sa sœur aînée, Madeleine, s'inquiétant à juste titre du sort de son frère, les suit à distance et remarque qu'on l'emmène à la ferme voisine chez Viance. Dans cette même ferme avaient été réquisitionnées certaines places pour y loger un gros gibier : on parle du général S.S. Remer. Une heure et demie plus tard, Madeleine qui guettait dans les arbres du château aperçoit un camion bâché qui débouche de la cour de la ferme et elle reconnaît son frère entre les deux sentinelles allemandes. Le camion passe à Salmchâteau où il est aperçu par des gens à qui Roger fait des signes de la main. On apprendra par la suite que le camion s'est ensuite rendu à Rencheux où les Allemands arrêtent et enlèvent Marthe Huberty épouse de Louis Lecomte, en l'absence de celui-ci puis se rend à Burtonville où il s'arrête à la ferme Octave. Roger se verra obligé de scier du bois le restant de la journée, sous haute surveillance bien sûr, puis passera la nuit dans la cave.
A partir de ce moment-là, on n'aura jamais plus de nouvelles des deux prisonniers. Tout ce qui suit est au conditionnel. On aurait vu Roger, le lendemain matin, partir vers le Grand Bois, une pelle sur l'épaule et accompagné d'un Allemand en armes; on aurait aperçu une dernière fois les deux prisonniers à Grufflange,…Roger a-t-il été abattu et enterré dans le bois proche de Burtonville ? A-t-il été emmené et abattu plus loin ? A-t-il été emmené en Allemagne puis capturé par les Russes et transféré dans un de leurs camps comme l'a longtemps espéré la maman ? A ce jour, aucune réponse ne peut être donnée à ces questions et ne le pourra sans doute jamais, à moins d'un sursaut de quelqu'un qui sait et qui veut libérer sa conscience . Mais il devient bien tard.
Le jour avant son arrestation, Roger Nizette avait enterré son arme dans un trou creusé dans la cave de leur maison et brûlé des papiers compromettants dans le même trou. Après l' arrestation, la famille Nizette est évacuée en même temps que d'autres personnes de Salmchâteau par des camions américains vers le village de Cession (Chevron). A son retour, elle trouvera sa maison brûlée volontairement par les boches et en fouillant la cave, l'arme à l'endroit où Roger l'avait enterrée.

Robert NIZET

Sources : diverses coupures de journaux de l'époque et (pour Roger Nizette) des souvenirs écrits par feu Louis Siquet.

Dératisation « miraculeuse » de la ferme des Concessions

1926 : Odon Warland, gouvion d'origine, fait fortune dans l'industrie cigarettière : « Boule nationale » c'est lui. Il rachète l'imposant domaine de la, ou dans le langage courant, des Concessions entre Bovigny et Beho. Celui-ci a été constitué en 1851 par le comte de Berlaymont, un amateur de chasse à courre. Furent ensuite propriétaires le comte de Cornélissen, le baron Dumesnil, messieurs Jonet et Capelle, marchands de bois et le prince d'origine roumaine Constantin Karadja qui y meurt en 1894 et y est enterré. Sa veuve, férue de spiritisme, conserve un temps le domaine puis le vend à un certain Kuborn de Martelange qui ne s'y plaît pas. Odon Warland survient donc, restaure le château et construit une nouvelle ferme, très moderne, sur les restes d'une ancienne. Il lui faut un fermier : ce sera Nicolas Nizet, mon grand-père.

Celui-ci est issue d'une famille qui est dans la région depuis l'an 1500, à Provèdoux puis à Sart notamment, sans discontinuer ou presque : de +/- 1789 à +/- 1839, un membre s'est exilé à Deidenberg (Prusse à l'époque), y a fondé une famille puis tout le monde est revenu à Steinbach.
Nicolas naît à Rettigny le 4 décembre 1878, se marie avec Hortense Dehez à Mont-le-Ban en 1908; ils s'établissent à Baclain où vont naître leurs sept enfants.

Aux Concessions, l'exploitation va tourner à plein rendement, ponctuée notamment par de nombreuses participations à des concours agricoles et se tailler une fameuse réputation bien au-delà des limites de la commune. Seul, un des enfants, Martin, va faire des études d'agronomie et partira au Congo belge en 1938 pour, normalement un terme de trois ans. La guerre qui survient l'empêchera de rentrer et, finalement, ce n'est qu'après 9 ans qu'il reverra sa famille pour la première fois. Cette guerre va aussi marquer la vie quotidienne à la ferme. Dommage que les témoins de l'époque ont disparu car on pourrait là-dessus écrire des pages et des pages. Je ne signalerai que deux choses et une anecdote. La ferme a ravitaillé durant cette période de vaches maigres des dizaines de personnes de la région. J'entends encore certains rappeler cela avec beaucoup d'émotion et de gratitude. Durant la bataille d'Ardenne, les Américains décidèrent d'occuper un partie de la ferme, confinant la famille Nizet dans deux ou trois pièces. Ils avaient fait sauter la fenêtre de la belle chambre et descendaient par là directement dans la cour. Les Américains n'étaient pas, chez nous, en odeur de sainteté !

L'anecdote, étonnante.
La grange, et même toute la ferme, semble-t-il, était souvent infestée de rats. Lorsque le tas de fourrage diminuait, ils y grouillaient littéralement. Ne trouvant pas d'autre solution pour se défaire de ces rongeurs, mon grand-père fit venir le vieux curé Theis de Beho qui avait, paraît-il, le pouvoir de les faire fuir. Il vint donc, « habillé » ( sans doute revêtu d'une étole) et fit plusieurs fois le tour extérieur de la ferme en priant. L'accompagnaient Jules, le plus jeune fils de la famille qui aspergeait d'eau bénite, et Roger Warland, fils du château. D'après Jules, le curé allait régulièrement dans la poche de sa soutane et en tirait une poudre qu'il répandait sur son parcours. Ceci accompli, on put voir les rats quitter les bâtiments en rangs serrés. Le dernier d'entre eux couinait comme s'il était en proie à de vives douleurs et fut tué par ma grand-mère. Jamais plus on ne vit un rat dans la ferme !
Ma tante Marie, dernière survivante de la famille, m'a assuré plus d'une fois que tout ceci était bien vrai.


Robert NIZET

samedi 17 mars 2012

SALM ou GLAIN: UN DERANGEANT PHENOMENE DE TOPONYMIE

La Commission royale de toponymie et de dialectologie a depuis longtemps dénoncé les innombrables erreurs de noms de lieux, de routes, de cours d'eau, etc… qui figurent sur bon nombre de cartes, officielles ou non.
Ces erreurs remontent très souvent aux années 1840, époque où furent dressés les Atlas des chemins vicinaux par des enquêteurs généralement étrangers, ignorant les dialectes locaux et interrogeant des témoins qui parlaient souvent le wallon (ou le flamand) de leur région, connaissaient peu ou pas du tout le français et étaient souvent ignorants de l'orthographe, sinon illettrés. Un bon exemple local de ce genre d'erreur est le lieu-dit « Mont-le-Soye », en wallon « Amon l'sôye ». Quiconque connaît le wallon reconnaîtra sans peine que la préposition « amon » signifie « chez » et qu'une « sôye » est une scie. Ainsi, il traduira le lieu-dit par : à la scie, chez la scie ou chez le scieur. Jamais en tout cas il ne pensera à un « mont » – d'autant plus que le lieu-dit est situé au creux d'un petit vallon – ni à de la soie ! Mais un enquêteur ignorant le dialecte comprendra « mont le (ou la ) soie » et sa notation sera à l'origine d'un lieu-dit orthographié sur la plupart des cartes jusqu'aux années 1960-1970 de telle façon qu'un étranger pensera à un "mont" et à de la soie.

LA SALM AU LIEU DU GLAIN
Une de ces erreurs - ô combien dérangeante - a fait passer au siècle dernier le nom de Salm à la rivière Glain à l'approche de Salmchâteau. Dérangeante parce que :
- elle est entrée dans les moeurs d'une très grande partie de la population;
- la Salm, dépouillée de son nom, reçoit des noms variant avec le lieu et l'époque : ruisseau de Petit-Thier, ruisseau d'Hermanmont, eau du Baron, eau maréchale, … ce qui atteste un malaise certain;
- la Salm n'ayant plus de nom, un farfelu lui a inventé celui de « Vielle », ce qui aurait donné naissance au nom de Vielsalm en accolant deux noms de rivières ! C'est d'une bêtise à faire hurler.( Le suffixe Viel signifie vieux : les comtes de Salm, établis en face de l'actuelle église à un endroit appelé Salm tout court, ayant émigré au début du 14e siècle à 2 km au sud et créé Salmchâteau, l'endroit occupé précédemment est tout simplement devenu l'ancienne Salm, Vielsalm !)
Les étymologistes s'accordent pour faire remonter les noms de Salm et de Glain à la préhistoire et plus particulièrement à l'époque celtique. Le cours d'eau en question a donc été appelé « Glain » depuis plus de deux millénaires et c'est depuis un peu plus d'un siècle que son cours inférieur a changé de nom.

LES FAITS
En fait, que constate-t-on ?
1) L'existence dans le réseau hydrographique de la région de deux rivières Salm et Glain. La Salm prend sa source sur l'ancienne commune de Petit-Thier, longe la route de St-Vith entre le moulin Minguet et le zoning de Burtonville, traverse l'ancienne propriété de Rosée, longe le terrain de football, passe au Tienne-Messe où elle reçoit le Baraîchin, puis sous l'église et s'unit au Glain sous Rencheux. Les endroits appelés vif-Sâm, sur Sâm, Sâmfa jalonnent son cours.
Le Glain prend sa source près de Commanster et, par Beho et Bovigny, atteint (après avoir reçu la Ronce) Salmchâteau (où il reçoit le ruisseau de Bêche et le Golnay), forme le plan d'eau des Doyards, reçoit la Salm, poursuit par Grand-Halleux pour se jeter dans l'Amblève à Trois-Ponts.

La preuve des documents.
Ne prenons que les dernières mentions dans le temps :
- délibération du conseil communal de Vielsalm du 27 juillet 1840 : octroi de l'autorisation « d'établir une scierie de bois…au lieu-dit le Moulin de Vielsalm (à l'endroit de l'actuelle chute du plan d'eau) pour être mue par eau et alimentée par la rivière de Glain ».
- Dans Etudes historiques sur l'ancien pays de Stavelot-Malmedy de De Nève : « …l'Amblève passe à trois-Ponts où elle reçoit le Glain »;(1848)
- Dans Tandel, Communes luxembourgeoises, par Mr Lepage : « Salmchâteau est situé au confluent de trois ruisseaux : le principal, dont la source est à Commanster… s'appelle le Glain »(1877).

Les preuves toponymiques :
- le pont à proximité de l'entrée sud du tunnel ferroviaire de Trois-Ponts s'appelle toujours « Pont de Glain »;
- les lieux-dits è Glain (Grand-Halleux), fosse à Glain (Salmchâteau), Fa de Glain et fond de glainchamps (en amont de Bovigny).

2) Jusqu'à la moitié du 19e siècle, aucun problème.
3) A partir de 1840, passage progressif du terme Salm vers le Glain dans certains comptes rendus du conseil communal notamment. Il s'ensuit : une rivière qui n'a plus de nom et une autre qui, sans rime ni raison change de nom en s'emparant de celui d'un de ses affluents.

Ouvrons ici une parenthèse. Une des raisons de ce transfert pourrait à mon avis se trouver aussi dans le parler wallon de la localité de Vielsalm. La rivière venant de Salmchâteau est appelée l'êwe du Sâm facilement traduite à tort par La Salm. A tort, parce que en wallon Salmchâteau se dit simplement Sâm. C'est la même erreur qu'a commise tout récemment un employé du MET qui a fait apposer sur le pont de Salmchâteau une plaque « Pont de Salm » alors qu'il s'agit du Pont d'Sâm c'est à dire Pont de Salmchâteau( mais sur le Glain !)

4) Dans le même temps, aucun problème pour le cours supérieur du Glain jusqu'à l'approche de Salmchâteau. Les gens de Honvelez ou Bovigny ont toujours utilisé le terme correct de Glain.
5) Jusqu'au début des années 1970, « Glain » était devenu à Vielsalm un hydronyme en voie de disparition bien que, dès 1948, Gaston Remacle eût publié dans le bulletin trimestriel de l'Institut archéologique du Luxembourg, une démonstration de ce transfert de noms. La création en 1973 de l'A.S.B.L. Val du Glain, Terre de Salm remit déjà, du fait de cette dénomination, ce terme au-devant de la scène.

A la fin des années 1980 ou au début des années 1990, l'association ci-dessus et Comté de Salm, Patrimoine et Environnement avaient envoyé un courrier aux Pouvoirs publics de différents niveaux pour attirer l'attention sur ce fait et leur demander de débuter un rétablissement des noms corrects dans leurs actes, plans, etc… Le sujet ne les intéressant pas, il n'y eut aucune réaction favorable.
Il est exact que ce problème n'est pas vital et qu'un transfert de nom ne constitue pas une catastrophe. Mais lorsqu'on écorche votre nom, vous le faites remarquer. Si l'on vous donne le nom du voisin, vous rectifiez. Nos villages, lieux-dits ou rivières ne peuvent se rebiffer mais ont néanmoins droit au respect de leur nom.
Ce ne fut cependant pas un coup dans l'eau car, par exemple, le service de toponymie de l'Institut géographique national et les Sentiers de Grande Randonnée ont signalé qu'ils tiendraient compte à l'avenir de cette remarque.

Nous espérons que toutes les personnes de Salmchâteau, Vielsalm, Grand-Halleux et Trois-Ponts principalement qui nous liront appelleront dorénavant leurs rivières de leurs vrais noms : le Glain, c'est le Glain, la Salm, c'est la Salm mais le Glain n'est pas la Salm. Il coulera encore beaucoup d'eau sous les ponts du Glain et de la Salm avant que nos deux rivières retrouvent – peut-être - leurs noms authentiques : l'effort pour ce faire devra être long et soutenu. En attendant, coulez Gain, coulez Salm !

Robert NIZET

LE VICINAL VIELSALM-LIERNEUX

Jusque dans les années cinquante, nos régions rurales étaient couvertes par un réseau assez ramifié de voies vicinales. Le TRAM qui constitue pour beaucoup LE souvenir joua un rôle non négligeable dans le développement de nos campagnes. Fonctionnant d'abord à la vapeur, au mazout ensuite, il allait jusque dans les villages les moins accessibles ou les plus haut perchés. Il permit à de nombreuses villettes restées à l'écart du chemin de fer de néanmoins s'y rattacher. Les régions de la Lienne, du Glain et de la Salm avaient eu la chance d'être dotées, assez tard et dans les toutes dernières, d'une ligne ferroviaire vicinale reliant Vielsalm à Lierneux.

C'est en 1892 que le conseil communal de Lierneux mit, pour la première fois à l'ordre du jour de sa séance du 24 mai, cette importante question qui consistait à relier par un vicinal le village de Lierneux à la ligne de Vielsalm à Liège en aboutissant soit à Stoumont, soit à Trois-Ponts. Elle y reviendra plusieurs fois; plusieurs tracés seront envisagés, chacun présentant son lot d'avantages; les arguments parfois les plus fallacieux seront présentés; la procédure administrative est lente; les discussions s'éternisent; les avis changent; les opinions deviennent contradictoires. Enfin, en séance du 3 février 1902, c'est chose décidée : le vicinal Vielsalm – Lierneux sera construit et les travaux commencent en 1903. Le 23 octobre 1904, notre petit tram fait sa sortie d'essai et le premier voyage en exploitation commerciale eut lieu le lendemain.

La distance Lierneux-Vielsalm est franchie en une heure, ce qui n'est pas un record de vitesse. C'était donc des locomotives à vapeur qui fonctionneront jusqu'en 1935, moment où des autorails Diesel font leur apparition sur une ligne rénovée.
Raccourcie de quelques centaines de mètres pour cause de dégâts causés par la seconde guerre, la ligne fonctionnera jusqu'en 1958 : elle fut alors remplacée par un service d'autobus et l'enlèvement des rails se fit petit à petit.

L'origine de l'entreprise était située dans la rue principale de Vielsalm (actuellement : rue du Vieux Marché) juste avant un endroit où celle-ci était particulièrement étroite, entre un bâtiment aujourd'hui hélas disparu (la pension de famille Hoffmann) et le mur avec contreforts de la propriété Sépult aujourd'hui disparu également (actuellement de la pharmacie Segers à l'Hôtel des myrtilles). La ligne commençait sans tambour ni trompette et la localité était traversée en chaussée par les actuelles rue du Vieux Marché, avenue de la Salm et rue de la Fosse Roulette. Au premier kilomètre, arrêt au-dessus de la gare du chemin de fer, à un endroit qui avait dû être remblayé et qui, après la seconde guerre, deviendra le point de départ. Dès les premiers projets cet endroit semble avoir posé problème : un garage est prévu sur la place et une bretelle descend vers la gare et se dirige vers les quais situés en amont de celle-ci. Ni l'un ni l'autre ne seront réalisé. La ligne continue en accotement de la route vers Salmchâteau et quitte la localité. Au kilomètre 2, un raccordement enjambe le Glain par un ouvrage métallique biais pour donner accès au quai de transbordement des marchandises sur les wagons du chemin de fer. Ce qui causa, semble-t-il, également du souci aux concepteurs du tracé car les plans successifs en montrent trois projets différents.
Encore quelques centaines de mètres et le village de Salmchâteau est atteint en même temps que la ligne passe sous le chemin de fer vers Gouvy et qu'elle effectue un tournant à angle droit. Elle ne pénètre pas réellement dans le village mais le contourne par le pied de la colline du château. Là eurent lieu les seules expropriations qui abîmèrent le site fait d'un ensemble de petits jardins et quelques annexes. Une maison dut être démolie. A cet endroit, la voie passe de la rive droite du Glain à la rive gauche par un pont métallique. L'arrêt de Salmchâteau se situe juste avant le petit pont en pierres sur le Golnay. Après une courbe, la ligne rejoint la grand-route vers La baraque de Fraiture qu'elle va suivre en accotement par La Bedinne, Les Sarts (quai de chargement), Joubiéval, Hébronval, en passant successivement dans la province de Liège, celle du Luxembourg puis encore celle de Liège.
Entre Hébronval et Regné, un dernier quai de chargement est établi et, à ce moment, deux virages font passer la direction de l'est au sud. La ligne abandonne la route et pénètre en site propre. Une descente continue mais légère à travers bois (les geûyes) amène la ligne au point d'arrêt de Verleumont fort distant du village lui-même, puis à l'entrée du village de Lierneux. Elle traverse en biais la route de Verleumont puis, après un dernier tournant, celle de La Vaux à angle droit. Quelques centaines de mètres encore en ligne droite et c'est la gare de Lierneux, complexe très important et aussi le terminus.
Le trajet était long de 15,250km et, à l'époque de la vapeur, durait une heure et six minutes, du temps de l'autorail, quarante à quarante-cinq minutes. La dénivellation était de 135 mètres.
Un livre donne les plans et un grand nombre d’illustrations sur la ligne et ses à-côtés, kilomètre par kilomètre et même souvent hectomètre par hectomètre, ainsi que des commentaires, des anecdotes et des souvenirs : AUTOUR ET A L'ENTOUR DU TRAM DE LIERNEUX, ouvrage collectif imaginé et édité par Robert Nizet, 1997, épuisé
R.N.

vendredi 16 mars 2012

DES SALMIENS AU CONGO

Dans un article paru dans Le Pays de Salm du 29 mars 1959 (hebdomadaire publié par Jacques Winand), l'inénarrable « journaliste » local Moustique (Alexis Bruyère) fit un relevé précis des coloniaux salmiens issus de la rue du Général Jacques à Vielsalm. Sur 280 mètres et 52 habitations il en avait trouvé 26 soit un par deux habitations et un par onze mètres de rue !!! Il pensait que c'était un record, ce qui n'est pas impossible. Et de fait, les gens de la région qui dès la fin du 19e siècle sont partis vers l'Etat Indépendant du Congo puis vers le Congo belge sont légion. L'un des premiers et le plus célèbre est sans conteste Alphonse Jacques qui conquit en terre africaine ses premières- et sans doute ses plus grandes – lettres de noblesse.

Le notaire Jules Jacques (1825 – 1900) avait repris l'étude de son père Pierre-Joseph située dans un bâtiment de la route vers Neuville. (En 2008, à cet emplacement, l'immeuble « Art Nouveau » de feu le notaire Delire devenu L'Auberge du Notaire , ensemble de chambres d'hôte de standing). Il fut aussi conseiller provincial et exploita le coticule entre Vielsalm et Salmchâteau. Son épouse Léonie Lamberty lui donna huit enfants : deux filles et six garçons. L'un d'eux, Alphonse, aura un destin hors du commun.

Il naquit à Stavelot le 24 février 1858 chez son grand-père Lamberty mais peut être considéré comme un pur salmien puisque sa famille était bien ancrée à Vielsalm. Il commença au collège Saint-Remacle des études qu'il poursuivit au Collège de la Trinité à Louvain puis à l'Institut Rachez à Bruxelles, en préparation à l'école militaire où il entre en 1876. Il fait encore l'Ecole de guerre avant de s'embarquer le 8 mai 1887 pour le Congo, à ce moment Etat indépendant. Là, il s'occupe de tout : maintien de l'ordre, organisation des transports, vérification des bateaux, entraînement des miliciens de la force publique. Il rentre au pays en 1890 et repart le 13 mai 1891 après avoir été reçu en audience privée chez le pape Léon XIII pour s'occuper cette fois de la lutte anti-esclavagiste au cours de laquelle il sort vainqueur du grand chef des expéditions barbares Tippo-Tip.

C'est aussi à ce moment qu'il fonde un poste qui deviendra Alberville (puis Kalemie). Nouveau retour au pays en 1894 : il se fiance à Pauline Beaupain, puis troisième terme de 1895 à 1898. Durant les quatre années suivantes, il sera réintégré dans les cadres de l'armée et mettra cette trêve dans les expéditions africaines à profit pour se marier et avoir deux enfants.
Cependant, une fois le Congo débarrassé de ses trafiquants de chair humaine, il fallait étudier les ressources du pays. Alphonse Jacques reprend donc du service outre-mer en 1902 pour étudier, construire et exploiter le chemin de fer reliant la frontière méridionale du Congo à la Lualaba. En 1905 : retour en Belgique et vie de garnison à Hasselt, puis le voilà commandant en second de l'Ecole Militaire, ensuite commandant du 12e de Ligne à Liège au moment où éclata la première guerre mondiale qui va lui permettre de se distinguer à nouveau et d'acquérir d'autres titres de gloire. En effet, Jacques avait fondé une ville au Congo, il va en sauver une en Belgique. Le 16 octobre 1914 avec son 12e de ligne, il occupe à Dixmude le point névralgique du front. Si ce point cède, les Allemands seront à Paris quand ils voudront. Jacques tiendra dix-sept jours jusqu'à ce que l'inondation sème la panique chez les Allemands. Après la guerre, il sera chargé de réorganiser l'armée et de représenter la Belgique dans divers pays étrangers.
Alphonse Jacques avait été fait Baron par A.R. du 15 novembre 1919 puis autorisé à ajouter à son patronyme la mention de Dixmude par A.R. du 27 octobre 1924. Il mourut le 21 novembre 1928 et on lui fit des funérailles nationales. Vielsalm honora sa mémoire d'une stèle avec buste en bronze sculpté par P. Van de Kerkhove et qui fut inaugurée près de la maison communale le 14 septembre 1930. Il fut enterré au cimetière de Vielsalm où sa tombe conçue par l'architecte Poupé fut inaugurée le 11 mai 1930. Le conseil communal de Vielsalm, en sa séance de 16 août 1919, baptisa Rue du Général Jacques la route anciennement appelée de Neuville . (En français correct, on dit et on écrit bien Rue DU Général Jacques). Signalons encore que chacun des retours d'Alphonse Jacques au pays était l'occasion de festivités grandioses dans la capitale et à Vielsalm.

Comme dit ci-dessus, de nombreux autres citoyens salmiens ou de la région proche – une quarantaine entre 1887 et 1908 - suivirent, avec moins de réussite et donc de retentissement médiatique, l'exemple de Jacques.

Norbert Niderich né à Vielsalm en 1867 partit en 1890 comme adjoint à l'expédition du Katanga et revint en 1893; Il était seul mais il avait laissé en route un petit compagnon qui devait le rejoindre quelques semaines plus tard : Kalala, premier Noir à arriver et à séjourner ici ! Objet donc de curiosité et de bien des conversations. On cite le cas d'un habitant d'au – delà d'Odeigne venu à pied voir cette chose extraordinaire : un homme à la peau noire. Les gosses de Salmchâteau n’étaient pas les derniers pour taquiner ce phénomène : ils lui criaient : Neûr djâle, neûr djâle ! Et Kalala de se réfugier chez son bienfaiteur en pleurant : Moi pas neûr djâle, moi pas neûr djâle ! Kalala avait été fait prisonnier par un chef noir et vendu à des arabes comme esclave. Il parvint à s'évader et fut recueilli par Diderich et ses hommes. Son protecteur lui fit faire des études à Carlsbourg où il fut baptisé sous le prénom d’Antoine puis retourna en Afrique.

Hubert-Joseph Putz s'engagea au service de l'Etat indépendant du Congo en qualité d'éleveur de bétail et d'agent de culture. Il fut notamment chargé de la capture et de la domestication des zèbres et éléphants au Katanga. Pour cela il se rendit d'abord en Uele où il retrouva un autre Sâmiot , le commandant Jules Laplume qui s'illustra précédemment dans plusieurs actions contre les marchands d'esclaves avant de s'occuper activement de la domestication des éléphants et d'écrire sur le sujet des études intéressantes. Comme, en fait, les éléphants n'étaient pas très nombreux au Katanga, Putz se cantonna aux zèbres. Une grande battue permit la capture d'une centaine de bêtes qui prirent place dans un kraal de 16 ha avec boxes et manège. Il ne semble pas que l'élevage de ces chevaux en pyjama ait connu une suite. Rentré en Belgique en 1909, il s'installa dans son village natal de Salmchâteau où il créa le Cercle africain des Ardennes.
C'est ce Cercle, devenu entre temps royal, (C.R.A.A.) qui en 1957 fut à la base de la création du Mémorial aux vétérans coloniaux du Pays de salm. Après plusieurs projets, il fut décidé d'intégrer celui-ci au site de l'ancienne chapelle Saint-Gengoux déjà citée en 1589 et qui a été ensuite consacrée aussi à Notre-Dame du Luxembourg.(Entre l'actuelle Avenue de la Salm et la Rue de la chapelle).
Ce mémorial de pierre et de bronze fut inauguré le 28 juillet 1957 par la Baronne jacques de Dixmude, veuve du général, en présence des représentants des Rois Baudouin et Léopold III (un fils du Général notamment) , du Ministre des colonies, de très nombreuses personnalités et familles de coloniaux ainsi que d'un important détachement de la Force publique. Il voulait honorer les pionniers (jusqu’en 1898) et les vétérans (jusqu'au 18 octobre 1908) ayant servi sous l'Etat Indépendant du Congo. Par la suite, y fut adjoint le souvenir de tous ceux ayant œuvré au développement du pays devenu Colonie belge.
Quel que soit le regard que les révisionnistes jettent maintenant sur cette œuvre gigantesque de la colonisation et de la civilisation du bassin du Congo, tous ces gens, dont beaucoup ont laissé là-bas leur vie ou leur santé, méritaient bien cet hommage.

Robert NIZET.

mardi 13 mars 2012

LE COTICULE

En 1625 est édité chez Léonard Streel à Liège un ouvrage écrit par Christophe de Gernichamps et portant un titre n'éveillant que peu la curiosité : « Déclaration chronologicque concernante la vertueuse et mémorable vie de St Symètre ».
Un passage du livre signale qu' « Il se trouve, près des fondements du chasteau (à Salmchâteau ) des queues à aiguiser toutes sortes de ferrements, les plus exquises, singulières et rares, qui (ne) se peuvent recouvrer dans aucun pays voisin, comme attestent ceux qui les ont expérimenté(es). D'où ilz ont prins occasion de les transporter annuellement en grand nombre aux relevées (= célèbres) foires de Francfort et, de là, à Venise et ès autres provinces. Elles sont d'une couleur jaunastre tirant sur le blanc ».

Deux siècles et demi plus tard, les documents – tant manuscrits qu'imprimés – qui vantent la qualité de ces pierres à aiguiser sont devenus courants.
C'est que leur façonnage a donné naissance, au fil des décennies, à une industrie dont l'importance est loin d'être négligeable pour la région et qui vend son produit dans presque tous les pays du monde.
Mais quel est ce produit ? Que sont ces « queues à aiguiser » qui suscitent un tel intérêt, qui provoquent l'admiration bien au-delà des frontières ?
Ce n'est ni plus ni moins que ces magnifiques pierres jaunes (le coticule) et bleues (le schiste) que notre grand-père utilisait pour affûter son rasoir !

LA GÉOLOGIE DE LA REGION

Salmchâteau est situé au sud du massif de Stavelot (étage cambrien de l'ère primaire) qui présente pour les géologues un intérêt exceptionnel. Ceux-ci nous apprennent en effet que c'est le point central de plusieurs plissements de la région. Compressions, torsions et étirements du terrain ont formé des roches et des minéraux très intéressants. Plus de soixante de ceux-ci y ont été découverts et, en ce qui concerne trois d'entre eux, pour la première fois au monde : l'ardennite, la davreuxite et l'ottrélite.
Parmi les roches qui furent exploitées, le schiste tient une place de choix puisqu'il donnait les ardoises qui firent la renommée de Vielsalm, tandis que le grès et l'arkose servirent – et servent encore – dans la construction et, pour la dernière, à la fabrication par nos ancêtres, de meules à broyer le grain.
Signalons encore, mais à titres anecdotique, même si sa recherche fut jadis une activité importante, l'or, que l'on trouve sous forme de paillettes dans les ruisseaux.

LE COTICULE

A certains endroits, le schiste ardoisier a été soumis, lors de plissements, à la chaleur et à la pression qui l'ont transformé en schiste novaculaire ou coticule, appelé plus communément pierre à rasoir.
C'est une roche :
1) Sédimentaire s'étant métamorphisée lors du plissement calédonien.
2) De teinte blanchâtre, jaunâtre ou rosâtre, fixée au schiste bleu.
3) Composé d'un mélange de différents minéraux : la séricité (mica blanc) formant la masse, la spessartine (grenats manganésifères), la chlorite, le carbonate de manganèse et l'andalousite.
4) Poids spécifique : 3,22g/cm³, dureté de la masse : 3, dureté des grenats compris dans la masse : 7 (référence : dureté du diamant = 10)
5) Abrasive, grâce à l'abondance des grains très fins (5 microns) de spessartine, vendue comme pierre à aiguiser les lames à fin tranchant et les instruments de chirurgie, les lames de microtomes et, anciennement, surtout les rasoirs.
6) Extraite de carrières souterraines, découpée en de nombreuses dimensions au moyen de disques diamantés, polies sur différents lapidaires (disque en fonte) pour enfin être doucie à la main et au sable fin. Après un méticuleux triage selon divers critères de qualité, elle est expédiée dans tous les continents.

DE LA FOSSE D'EXTRACTION A L'ATELIER

Dans les galeries souterraines, les ouvriers extrayaient le coticule à l'aide d'outils rudimentaires (jadis) ou de marteaux pneumatiques (plus récemment) après qu'un explosif peu brisant ait détaché des pans de roche.
Remontés par tonneau, les blocs de coticule étaient amenés à l'atelier où trois groupes d'opérations allaient en faire un produit fini et rare : une magnifique pierre à rasoir, faite d'une couche de coticule et d'un support de schiste.
Tout d'abord un double sciage sous arrosage d'eau et de sable. Le bloc, placé sous l'armure (cadre à lames multiples) et scié en longues tranches (longuèsses), puis, celles-ci, après qu'on les ait déplacées d'un quart de tour, en morceaux bruts de la dimension souhaitée (lozès).
Remarquons ici que les lames n'étaient pas dentées : c'est le sable humide qui, pressé par les lames contre la pierre, scie celle-ci.
La seconde opération consistait à réduire l'épaisseur des morceaux retirés de l'armure. Elle se faisait par une débiteuse à sec, c'est à dire une lame de scie mue mécaniquement et travaillant, comme son nom l'indique, sans apport d'eau.
Ceci avant que n'apparaissent les disques à diamant. Mais cette machine intervenait surtout lorsque la couche de coticule était très épaisse. Le fabricant de pierres à rasoir étant également un commerçant, il n'aurait pas été avantageux pour lui de vendre une pierre comportant une telle épaisseur de coticule. Dans ce cas donc, une semelle de schiste était collée de l'autre côté et le coticule scié au milieu. On obtenait ainsi deux (et parfois trois ou quatre) pierres : l'une, dite naturelle, qui adhérait naturellement; l'autre qui avait été collée. La capacité d'aiguiser des deux étant bien sûr égale.
Les pierres confectionnées étaient ensuite polies au lapidaire, grand disque en fonte tournant horizontalement et arrosé d'eau et de sable. Les six faces de la pierre y étaient aplanies et polies. Un second polissage, appelé doucissage, précédait l'emballage et l'expédition dans le monde entier.

L'INDUSTRIE DU COTICULE

Cette industrie a été pendant longtemps une activité caractéristique des communes de Bihain, Lierneux et Vielsalm. Quand a –t-elle commencé? On ne le sait mais on peut dire que, si dès le début du 17e siècle, la pierre à rasoir faisait l'objet d'une exportation, c'est qu'elle résultait d'une industrie qui n'était déjà plus tout à fait récente.
Ce que, par contre, on peut dire avec certitude, c'est qu'elle a pris plus d'ampleur dan la seconde moitié du 18e siècle avant de connaître son âge d'or durant le dernier quart du 19e siècle et le premier quart du 20e siècle : 14 sièges d'exploitation occupant 76 ouvriers en 1903, rien que sur la commune de Bihain, alors qu'il y avait d'autres exploitations sur les communes de Lierneux et de Vielsalm, sans parler des nombreux ateliers de façonnage qui employaient aussi plusieurs dizaines d'ouvriers et d'ouvrières.

Ouvrons ici une parenthèse pour dire que le terme « pierre à rasoir » est trop restrictif, car se servaient du coticule pour affûter leurs outils, non seulement le barbier, mais également le menuisier, le cordonnier et le tanneur, le boucher et le chirurgien, le luthier, le bricoleur, le paysan et bien d'autres. C'est en effet un fait acquis et reconnu partout, encore actuellement, que le coticule donne à l'outil un fil tranchant à nul autre pareil. Remarquons bien qu'il n'intervient que pour l'affilage d'un outil dont le tranchant a, au préalable, été passé sur la meule en grès ou au carborandum.
Précisons dans la même parenthèse que le coticule, terme utilisé seulement par les géologues et quelques initiés avant qu'on ne parle d'un musée, est la roche, donc la matière première, tandis que la pierre à rasoir (pîre à rèzû) désigne plutôt le produit fini.
Enfin, avant de refermer cette parenthèse, signalons que toute la région et tous les ouvrages de géologie ne parlent jamais de ce minéral qu'au masculin tandis que l'Académie française, dans son dictionnaire, l'appelle LA coticule. On se demande bien de quoi se mêlent des gens qui n'ont même pas de coticule chez eux !

Mais il est tout à fait révolu le temps où tout un petit monde laborieux s'affairait autour de la pierre à rasoir, non seulement l'ouvrier du fond et les apprentis de l'atelier, mais aussi le forgeron, le menuisier, le transporteur et les commerçants chez qui ces personnes dépensaient leurs revenus. Il faut dire qu'en ces temps-là, les étiquettes appliquées sur les caisses d'expédition portaient des nom aussi divers que New York, Tel-Aviv, Buenos-Aires, Ankara, Le Caire,…
L'extraction prit fin en 1980 cependant que le dernier atelier, celui de Mr Prosper Burton à Sart, continuait de façonner le stock existant jusqu'à la fin 1982. A ce moment survint le décès du dernier exploitant de pierres à rasoir…
Toutefois sous l'impulsion de l'I.N.I.E.X. d'abord puis par d'autres repreneurs, cet atelier reprit par après une certaine activité qui perdure toujours actuellement (en 2008).
Les qualités de ce coticule ne sont donc pour rien dans la disparition de son industrie. Il faudrait plutôt rechercher les raisons de celle-ci dans le refus ou l'impossibilité des exploitants de se grouper, de moderniser leurs procédés et leur matériel, de réinvestir à temps, autant que dans la concurrence que lui ont fait les abrasifs artificiels, moins chers.

LE MUSÉE DU COTICULE

Tous les anciens ateliers qui avaient cessé leurs activités dans les années soixante et septante étaient tombés en ruines et les machines, démantelées, avaient été envoyées à la ferraille. Il restait néanmoins, à l'abandon depuis 1955 mais disposant encore de toutes ses machines, l'atelier de la Nouvelle Société Old Rock datant de 1923 et établi sur la rive droite du Glain au lieu-dit Trasteûle en amont de Salmchâteau dans un bâtiment long et bas construit en moellons de schiste et couvert de chèrbins . C'est cet atelier que, en bénéficiant des subsides rendus disponibles pour la commémoration du 150e anniversaire de la Belgique et des dispositions du Cadre Spécial Temporaire, l'A.S.B.L. Val du Glain, Terre de Salm entreprit de restaurer et de transformer en MUSEE DU COTICULE. L'inauguration de celui-ci eut lieu le 27 juin 1982.

Robert NIZET

samedi 10 mars 2012

À PROPOS DES « CHERBINS »

Jeau Haust, dans son Dictionnaire liégeois donne : hèrbin : m; fendis, grosse ardoise informe. Le pays de Vielsalm prononce chèrbin.

Si l'on excepte la petite ardoise régulière, fine et symétrique qui n'a été découpée et largement utilisée qu'à une époque plus récente, ou sur des détails de toiture nécessitant de très petites calibres, le toit ardennais était habituellement couvert des chèrbins traditionnels et dont l'épaisseur est généralement supérieure à celle des autres ardoises.

Les chèrbins ont une forme allongée, une sorte de rectangle aux bords arrondis. Le grand côté atteint facilement et même parfois dépasse les 80 cm tandis que le petite ne dépasse pas les 40/50 cm. L'épaisseur tourne autour d'1 ou 2 cm mais dans les cas extrêmes monte jusque 3 ou 4 cm. En fait, il y en avait de toutes les tailles : si les exemplaires de 1m² étaient rares (ils apparaissent sur certaines cartes postales), ceux de 0,5m² étaient courants.

Pose de la couverture.

Sur les poutres sont posés des chevrons à peine dégrossis dont la section tourne autour de 15/15 et l'entre-distance de 30 à 40 cm. Ensuite on fixe sur ceux-ci un voligeage jointif qui va servir de sous-toiture pour la pose des chèrbins. Les meilleures sous-toitures sont légèrement concaves afin que les chèrbins reposent bien les uns sur les autres. Cela est obtenu en utilisant des poutres de section plus forte aux extrémités de la toiture (faîte et bas) et des poutres de section plus faible au centre. Ils sont posés en longues bandes continues montant du bas de la toiture jusqu'au faîte. A l'intérieur d'une bande chaque chèrbin recouvre le précédent d'une dizaine de centimètre, à l'endroit de recouvrement maximum. Et chaque bande recouvre les chèrbins de la précédente d'une valeur similaire. Le couvreur pose une bande complète à la fois avant de passer à la suivante. Placés, ils laissent donc apparaître un angle obtus et asymétrique dont un côté est courbe, l'autre droit. La succession de ces derniers côtés fait apparaître une ligne rigoureusement droite qui se répète sur toute la largeur du versant, de gauche en bas à droite en haut. La succession des côtés courbes forme des lignes de festons mal définies de gauche en haut à droite en bas.

Le chèrbin est façonné sur place par le couvreur en fonction de l'inclinaison qu'il va donner à sa couverture. Seul un petit côté est taillé selon une ligne droite, c'est celui qui sera recouvert par la ligne suivante. Il est taillé avec l'angle de l'inclinaison des bandes et sert à aligner rigoureusement les chèrbins dans la direction de celle-ci. Les trois autres côtés sont arrondis de façon à ce que le chèrbin ne recouvre que ceux qui le précédent immédiatement – un en dessous de lui et un à sa droite. Ces forme rondes font que deux chèrbins du même niveau sont toujours jointifs et ne se recouvrent jamais pour éviter qu'une plaque de schiste ne soit pas posée parfaitement à plat sur les précédentes et « baille » un peu sur une autre de son niveau. L'angle entre les grands côtés et le petit qui donne la direction varie aussi d'un toit à l'autre. Il semble qu'il soit calculé de façon à ce que ces côtés aient toujours plus ou moins la même inclinaison sur l'horizontale.
Comme on l'a dit, les bandes sont toujours inclinées, en montant, de la gauche vers la droite. Cette disposition qui semble curieuse à l'observateur au premier abord, s'explique du fait que pour travailler le couvreur s'agenouille sur le toit à côté de la bande qu'il est en train de poser, la tête dirigée vers le haut du toit pour garder son équilibre. Comme la plupart des couvreurs sont droitiers l'habitude s'est prise de se placer à gauche de la bande afin de privilégier le bras droit. Les bandes déjà posées s'alignent donc à droite du couvreur et le nouveau chèrbin qu'il place se superpose aux précédents à la gauche de ceux qui sont déjà posés.

A la carrière, les blocs de schiste sont refendus – de la même façon que les autres ardoises, c'est à dire par fendage successifs d'un bloc en atelier, par le fendeur qui utilisait différents types de marteaux et de ciseaux – jusqu'à l'épaisseur désirée puis les grandes écailles obtenues sont classées par lots de même

Taille. Le couvreur utilisera les lots les plus grands pour façonner les chèrbins placés en bas de toiture. Comme la dimension apparente du chèrbins reste identique sur toute la hauteur du toit cela permet un recouvrement de plus en plus important au fur et à mesure que l'on descend. Les lots les plus petites servent à façonner les chèrbins mis "à l'envers" pour boucher les trous laissés entre deux lignes au bord des rives de toitures et à fabriquer les « cwèrbâ ». Ceux –ci sont utilisés pour la terminaison sommitale de la toiture et assurent l'étanchéité du faîte. Ils ont la forme d'une espèce de cercle terminé par une pointe de lance. Les gorges de ces pointes s'emboîtent avec celle des cwèrbâs du versant opposé qui sont ainsi retenus en place. La double ligne de cwèrbâs donne au faîte un curieux aspect hérissé qui évoque les rangées de corbeaux alignés dans les champs, d'où leur nom.

Les chèrbins sont posés dans un bain d'argile mêlée de paille hachée finement. On monte ce mortier dans un "oiseau" et on le répartit en tas réguliers au long de le nouvelle ligne à placer. Le couvreur l'étale de façon à ce qu'il recouvre toute la surface du voligeage d'une couche plus épaisse que les chèrbins déjà placés. Ensuite, il y écrase le nouveau chèrbin qui y adhère ainsi par succion, le place parfaitement de niveau et puis racle à la truelle le mortier qui en dépasse. Ce mortier a donc une triple fonction : assurer une pose régulière des chèrbins, les « coller » à la sous-toiture et jouer le rôle d'une sous-couche comblant les interstices. Cuite et recuite par plus d'un siècle d'exposition aux ardeurs du soleil, elle est aujourd'hui dure comme de la brique dans les toits qu'on démolit. Parfois, on remplaçait l'argile par de la bouse que les enfants allaient ramasser dans les prés. Cela donnait un mélange plus souple et plus « adhésif » qui aujourd'hui se décolle en larges films de plus ou moins 1m², comme de grandes feuilles de plastique. Ou, on utilisait encore de la sphaigne, mousse ramassée en fagnes que l'on plaquait sur la sous-toiture encore humide. Il s'agit du moins bon matériau car la mousse est moins étanche, se dessèche et finit par tomber en poussière, perdant toute qualité d'étanchéité.

Tous nos village, pour ainsi dire, conserve quelques exemplaires de toits de chèrbins, véritables œuvres d'art. Chaque année, hélas, il en disparaît. Ainsi, les remarquables abris à bestiaux situés dans les pâtures des environs de Grand-Sart notamment ont tous disparus récemment. Si les chèrbins pouvaient encore durer des siècles, ce sont les charpentes non entretenues qui se brisaient sous le poids imposant de la pierre.



R.N.

Sources :
Henry d'Otreppe de Bouvette, LE SCHISTE ARDOISIER D'ARDENNE SEPTENTRIONALE DU MOYEN AGE A L'EPOQUE CONTEMPORAINE, 1976
Guy Maillard, NOTES TECHNIQUES RELATIVES A LA FABRICATION DES ARDOISES DANS LA REGION SALMIENNE, in GSHA n°6 de juin 1977
Charles Gheur, L'ARCHITECTURE VERNACULAIRE DES BASSINS DU GLAIN ET DE LA LIENNE EN HAUTE-ARDENNE, GSHA n°39, novembre 1993

mercredi 7 mars 2012

Les ceux de chez nous

UN SALMIEN FAIT LA GUERRE EN COREE

Il y avait jadis au quartier de la gare une famille Billiet arrivée de Mouscron en 1939. Le père, militaire de carrière entra au 3ème Chasseurs ardennais et deviendra par la suite peintre en bâtiments. Cette famille habita d’abord dans une petite maison sous la quincaillerie Lallemand puis déménagea dans une des maisons militaires des Chars-à-Bœufs avant d’acheter au bas de la même rue la maison occupée actuellement par l’avocate Géraldine Santerre. Elle comptait sept enfants : d’abord 5 garçons puis deux filles nées après la guerre. Le deuxième des garçons, Claude né le 11 mai 1934 à Mouscron donc est celui qui nous intéresse aujourd’hui.

Il fait l’école primaire à ce qui était alors l’école communale de Vielsalm chez Monsieur Denis notamment puis l’école moyenne qu’il ne termina pas : il voulait autre chose. Durant quelques temps il est apprenti imprimeur chez Marcel Chauveheid ! Il aime à rappeler qu’il composait des textes en prenant les lettres en plomb dans les casses et les plaçait dans le composteur. Mais dès 16 ans ( !) il entre à l’armée qui recrutait alors à tour de bras. Il reconnaît que certains jours il a tchoûlé car il se trouvait à l’instruction avec des miliciens de vingt ans et plus. Là il est classé comme candidat mécanicien pour les véhicules à chenilles mais ce n’était pas non plus sa tasse de thé car il voulait bouger. Après avoir insisté durant un an il intégra en 1952 les commandos de Marche-les-Dames et s’inscrivit comme volontaire au bataillon de Corée.

Car en effet, à ce moment-là, à l’autre bout du monde se déroulait la guerre de Corée. Le Nord avait envahit le Sud et l’ONU devait intervenir pour rétablir l’ordre. Ce furent d’abord les Américains qui occupaient le Japon depuis 1945 qui débarquèrent mais, non préparés, ils se firent ratiboiser. 17 nations sous le pavillon de l’ONU vinrent donc à leur rescousse, dont un bataillon de volontaires belges. Parmi ceux-ci notre Claude Billiet qui embarqua en juin 1953 et qui eut avec ses 55 collègues les honneurs du Patriote illustré du 28 juin.



Jusqu’à son retour en août 1954, Claude combattit réellement, parfois même aux côtés de troupes de musulmans puisqu’il y avait des turcs dans les contingents onusiens. Il prit part notamment aux combats de Chat-Kol qui furent le prélude aux pourparlers d’armistice. La photo est prise à ce moment-là, en juin 1954,. Les troupes chinoises se trouvaient de l’autre côté de la colline et nos hommes devaient se retirer en deçà d’une ligne de sécurité. Pour cela ils étaient inclus dans l’unité du 7ème Régiment d’Infanterie, 3ème Division US appelée La Marne Division . En 1917, c’était cette compagnie de mitrailleurs qui avait dégagé la Marne d’où le nom, et leur devise : Nous resterons là ! Claude signale qu’en Corée il a rencontré des américains qui avaient combattu chez nous lors de la Bataille d’Ardenne !

Faut-il préciser que Claude a ramené de cette expédition une moisson de souvenirs ? Son meilleur est sans doute le congé dont il bénéficia au Japon au cours duquel il fut rhabillé des pieds à la tête par des tailleurs américains. Et le plus comique : alors qu’il faisait la file pour obtenir sa ration alimentaire quotidienne, un sud-coréen incorporé au contingent belge lui marche sur les pieds.
Claude : Hé, tu m’rotes so les pîds !
Et le sud-coréen de rétorquer : èt qwè valèt ?

A son retour en Belgique, Claude aboutit au 3ème Chasseurs ardennais mais quitta l’armée à la fin de son contrat pour reprendre des études : infirmier à l’Ecole du Barboux où il obtient son diplôme d’infirmier hospitalier avant de faire une spécialisation en psychiatrie. Il put ainsi travailler pour le CPAS de Liège dans divers hôpitaux jusqu’à sa pension en 1984. Il réside actuellement à Lierneux mais revendique haut et fort sa qualité de Salmien. D’ailleurs, il vient à Vielsalm plusieurs fois par semaine.

Il fait évidemment toujours partie de la Fraternelle du Corps des Volontaires belges pour la Corée et est en relation avec des fraternelles américaines. Il est très content d’avoir participé à cette expédition : ce fut une expérience inoubliable même s’il en a bavé plus d’une fois. Signalons enfin que son frère Serge a suivi son exemple : il partit en Asie au moment où Claude en revenait.



Robert NIZET (L'Annonce de Vielsalm, 2/03/2012)