jeudi 30 juillet 2009

Vieux chemins au pays de Salm.



(inédit ?, 1959)

L’étude de la voirie de la région nous amène à conclure que le moyen âge, particulièrement après les XIe et XIIIe siècles, a vu s’établir un réseau de chemins nouveaux. Il témoigne de relations humaines différentes de celles des temps antérieurs, et il révèle d’autres préoccupations.
C’est un fait général qu’avec la fin des grandes invasions, plus de sécurité renaît. La population s’accroît. De nouveaux groupes d’habitations se créent, tandis que les anciens, qui ont survécu, prennent de l’ampleur. Des centres de la vie chrétienne naissent, rayonnent, et appellent la population, tels, ici, ceux de Stavelot et de Malmedy, et des paroisses s’organisent.
Le commerce aussi, peu à peu, prend de l’essor, provoque déplacements de personnes et charrois.
Inévitablement, les voies de circulation vont s’en ressentir. Elles n’auront plus des ambitions de longues distances et de sécurité qui exigeaient la ligne droite et le maintien sur les hauteurs. Mais, reprenant parfois des tronçons d’anciens chemins, sans doute, ailleurs elles s’en écartent selon les besoins plus immédiats, et elles iront d’une localité à l’autre, et, plus que leurs devancières, éviteront les fortes pentes.

Nous croyons avoir relevé quelques-uns de ces chemins ainsi créés à cette époque, et qui se sont maintenus jusqu’à la naissance de la voirie moderne plus parfaite et répondant à d’autres nécessités.

Leurs traces en sont, en général, toujours visibles ; au temps de notre jeunesse encore, des pas familiers leur restaient fidèles.

De Rogery, que l’on rejoignait facilement en venant d’Ourthe, de Beho et d’Audrange, un chemin prenait la direction de Stavelot. S’y raccordaient les charrois et les pas de la région de Bovigny, Cierreux, Bèche, Neuville.

Presque en ligne droite, il passe d’abord à gué le ruisseau de Cierreux, gagne l’extrémité est de Burtonville sous le nom de voye de Rogery, descend vers Sart-Hennard, passe la Salm, devient la grande vôye en abordant Petit-Thier, traverse Petit-Thier monte vers Les Plins passe au pas d’âne et se dirige alors vers Malmedy. Avant qu’il n’aborde Les Plins, une bifuraction s’en détache, descend à gauche vers Mon-le-Soie où vient le rejoindre un autre venant de Vielsalm par le gué de Tienne-Messe, la halinne vôye aujourd’hui désaffectée entre Priesmont et Ville-du-Bois, Rond-Chêne, Mon-le-Soie ; le chemin commun s’engage alors vers le haut de Logbiermé et vers Stavelot.

Un texte de 1753, qui le mentionne clairement : « un champ gisant à Mont le Soie desous le grand chemin de Salm à Stavelot » (CS 1753-1757/29) ; à l’Atlas des communications vicinales de Vielsalm, le tronçon qui précède Rond-Chêne est cité comme « chemin du village de Ville-du-Bois à Stavelot ».

A Mon-le-Soie a croisé ces derniers chemins un troisième qui conduit à Recht par Mon l’gros où il retrouve le chemin beaucoup plus ancien de Lierneux à Recht. Il constitue toujours, actuellement, la voie assurant les relations Grand-Halleux et Mon-le-Soie. A l’est de Mon-le-Soie, il est repris par les pâtures et les bois.
Une mention de ce chemin, du 16 août 1684 : « une demy iournée à la croix Jean Giet desseur le hour ioindant des deux costés aux hres Matthy Georis du hour et d’un autre au chemin allant vers le Soye » (CS 1683-1718/43).

Par rapport à Grand-Halleux, il présente un tracé plus court et une pente moins raide que la voie plus ancienne qu’il rejoignait donc vers Mon l’gros.

Du fait du passage de ces chemins, il n’est pas étonnant que des habitations se soient érigées pour constituer le hameau de Mon-le-Soie. L’endroit était déjà habité à la fin du XVIe siècle. Etre autres, ces mentions d’archives :

  • 1607. « Gillet des Soyes [émancipe] Jean son filz aagé d’environ quinze à seize ans » (CS 1602-1609/224vo).
  • 1621. « Jean des Soyes l’aisné… tourne en habot… le pré gisant aux Soyes, gisant pardessouz la maison du dit Jean tenant du costé inférieur au ruisseau et d’un autre endroit à Gillet » (CS 1617-1622/47)

Les dénombrements de 1561 et 1575 font état de « Jean de Soye » parmi les chefs de ménage d’Ennal dont Mon-le-Soie peut-être considéré comme une extension. Actuellement, Mon-le-Soie ne comprend plus qu’une maison et un ménage.
A notre avis, selon les mentions d’archives, l’endroit s’est d’abord dénommé Soye ( = petite scierie). Mon-le-Soie serait, selon le langage de la région, « chez le Soye », ou « chez la Soye ».

La direction de Recht a provoqué aussi une modification à un chemin plus ancien, celui qui, venant de l’ouest par Petit-Thier, vôye wiême et vers Recht.

A partir de bètch do thier, et via la croix du français, un autre tracé s’est établi. Il reste à mi-hauteur de la colline et permet d’éviter une pente assez prononcée.

Toutefois, la partie basse de Petit-Thier, et Blanchefontaine empruntaient, vers Recht, un autre chemin, parallèle au précédent et un peu plus bas.

Deux mentions :

  • 1598. « une pièce de terre derière les champs que tient présentement Jean Jeannette du petithierme tenant … pardesseur et pardessouz aux deux chemins de Reth » (CS 1587-1622/7).

1717. « certain champ … gisant au lieu vulg. Appellé le gotay Noel, joindant d’embas au chemin conduisant à Reth » (CS 1702-1725/171vo)

il avait, jusqu’à Poteau, le tracé actuel de la grand-route de l’Etat. Puis, par Moldenberg, il rejoignait le chemin venant de la Croix du Français.

Avant de quitter cette ectrémité du pays de Salm, signalons encore, entre Poteau et Recht, deux chemins coupant la grand-route de l’Etat, et se rejoignant au nord-ouest avant d’arriver à Ochsenbaracken, pour se diriger vers Malmedy.

L’un vient de la région de Crombach et Thommen, et s’approche assez près de Recht qu’il laisse à droite.

L’autre, à la borne 95/, de l’ancienne frontière, se détache du vieux chemin Stavelot-Luxembourg, et s’en écarte et vers l’est. Normalement, devaient le suivre les charrois venant de la région de Commanster et Beho. Avant d’arriver à la maison de M. Pierre DEJOSÉ qu’il laisse à droite, il a suivi un instant le tracé même de la grand-route actuelle Poteau-Recht. L’endroit où il l’abandonne, et ses environs, porte le nom, au cadastre et dans le langage local, de Salmwege.

L’essor de la ville de Liège et du nord du pays a influencé également la voirie de la région de Salm, y provoquant la naissance de chemins.

De Beho et environs, on peut marquer le début de l’un d’eux. Longeant la rive droite du Glain, il le franchit au pont de Saint-Martin, gagne Longchamps (Bovigny), tend vers Honvelez qu’il laisse à droite, descend vers la Ronce en obliquant légèrement, remonte en laissant Provedroux à droite, se dirige vers le moulin KOOS de Sart, puis le Crin-do-Sart, Arbrefontaine, et prend la direction du nord-ouest.

C’est sans doute ce chemin des environs de Erria-Bra signalé par ce texte de 1533 : « une certaine pièce d’héritage … qu’on diest minafays … ioindant d’un costet au chemin tendant de Salme à Liège doultre parte à la Cour de Hierloz et d’autre parte au prés et héritages du dit Enriaulx » .

(H.LEMAIRE, Notice sur la paroisse et l’ancienne vicomté de Bra, Liège, Donnay, 1882, p.24vo.)

Il a déjà porté le nom de « pasay de Lîdje » ou « vôye di Lîdje » en amont du gué (aujourd’hui pont) de Djivni (à l’ancien chemin d’Ourthe à Rogery).

  • 1569. « un champ sartable un peu plus haut, par de là le wy de Gevingny, joindant du costé du midy au Pasay de Lîdje, et de l’orient à la voye d’Ourte ».

(L’abbé C. GUILLAUME († 1944, curé émérite de Burtonville) qui cite ce texte dans ses notes manuscrites, ajoutait : « Nous en avons de plus récents, avec les mentions de « voie de Lîdje », et qui ont trait au même chemin ».)

La dénomination de vô de Lîdje lui est toujours attribuée près de Honvelez, et elle se rencontre également à Arbrefontaine.

Deux mentions à ce propos :

  • Du 28 septembre 1901 : « Pierre Kaifve et Jean Hubert Malsoult ambedeux d’Arbrefontaine [font un échange de terrains dont] un champ gisant à la voye de Liège » (CS 1587-1622/122).
  • Du 15 mai 1730 : « François Mottet d’Arbrefontaine … a mis en gage une demy journée de champ lieu dit à la voye de Liège finage du dit lieu » (CS 1730-1734/5).

A remarquer qu’après le pont de Saint-Martin, ainsi que sur la comune de Lierneux, il s’est confondu avec des tronçons de plus anciens chemins.

Celui qui passe au moulin KOOS de Sart et jusqu’au Crin-do-Sart est signalé en 896 : « via ad campum eorum Anglariam ducens ».

(HALKIN/ROLAND, Les chartes de Stavelot-Malmedy, T.1, p.116)

les localités de Cierreux et Rogery se raccordaient à ce chemin au-dessus de Honvelez. Gouvy le rekoignait à Bovigny par la vieille vôye de Sâm. Bihain, Goronne, Rencheux et Vielsalm le retrouvaient à Arbrefontaine. Tandis qu’un autre courant s’y rattachait au-delà d’Arbrefontaine, passant par Mont-Petit-Halleux, et amenait les voyageurs du ban des Halleux, de Ville-du-Bois, Petit-Thier et plus loin. Petit-Thier atteignait Mont par le bois Cheneux, Rond-Chêne (le chemin passe à une centaine de mètres au sud de Rond-Chêne), Hourt et le gué du Glain.

On peut dater de la première moitié du quatorzième siècle la construction du château de Salm, près de Salmchâteau. Elle a été le point de départ de la naissance de la localité voisine.

Mais une série de chemins apparaissent ainsi comme rayonnant de l’endroit ; ils ne s’expliquent que par la vitalité du manoir féodal qui a provoqué et appelé des relations humaines.

L’un tend vers Lierneux par La Comté, Crin-do-Sart, Menil où il retrouve une plus ancienne voie. La Comté est né sur son passage.

A La Comté, le croisait un chemin venant de Vielsalm, et Rencheux pour gagner Ottré et la région de Bihain.

Un autre, par Haironde, permet de se rendre à Cierreux, Rogery, et Bovigny.

Un troisième, passe le Glain avec le précédent, prend la direction de Taillis né à son passage, puis Commanster, où il se raccorde à d’autres voies vers l’est et le sud.

Enfin, signalons le raccord Salmchâteau-Vielsalm, par Basse-Ville – où il semble bien qu’il faut voir la naissance de Salmchâteau – et Pont-des-Perches, où l’on franchit le Glain, autrefois par un gué. Après Pont-des-Perches, se détachait la route dite des Chars-à-Bœufs à Vielsalm, qui à Neuville se prolongeait par la « vô d’Saint Vé », donc vers Saint-Vith (via Burtonville et la borne 95 de l’ancienne frontière Belgo-prussienne).

Dans cette région du pays de Salm, les routes modernes ont créé un nouveau courant de circulation. Il faut citer ici la route de Trois-Ponts à la Baraque-de-Fraiture par Vielsalm, Salmchâteau, Hébronval, créée en 1846 ; celle, de 1849, qui s’en détache à Salmchâteau et qui court vers le Grand-Duché de Luxembourg ; enfin une troisième, de Vielsalm à Poteau et plus loin, en 1856.

Le perfectionnement de plus en plus poussé des moyens de locomotion, exigeant des routes sans ornières et bien entretenues, a fait le reste. Les vieux chemins tombent en désuétude. Bientôt, repris par les pâtures et les bois, on n’en retrouvera plus qu’à grand-peine de vagues traces.

Gaston REMACLE


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