(publié dans L’Avenir du Luxembourg, le 22 février 1948)
Sous le titre « Le pas d’âne de Bèche-Fayt », l’ « Avenir » du 8 février a publié un billet à propos d’une pierre curieuse se trouvant au lieu ainsi indiqué de « Bèche-Fayt ». et à cette pierre, fait soupçonner l’auteur du billet, a pu être attaché un certain caractère de légende.
À l’intention du lecteur, nous voudrions ajouter ici quelques détails qui paraissent susceptibles d’intéresser.
La pierre en question avait retenu, en effet, l’attention de feu l’abbé GUILLAUME. Lui-même nous l’a assuré, ainsi que Mlle Marie-Joseph PAQUAY qui la lui avait indiquée.
Relevons d’abord la dénomination exacte de l’endroit où gisait la dite pierre. Celui-ci n’est pas « Bèche-Fayt », mais « So Bèchefa », selon l’appellation locale.
« So Bèchefa », c’est-à-dire sur, au-dessus de Bèchefa.
Il faut remarquer la différence entre fa et fayt. Un toponymiste en saisira vite toute la valeur.
« Bèchefa », c’est la fagne de Bèche. Et M. le curé GUILLAUME faisait de « Bèche » une variante du « beek » en flamand et du « bach » allemand. « Bèche » signifierait donc ruisseau.
Quant à l’expression « So Bèchefa », elle est compréhensible pour désigner l’endroit qui nous occupe ici ; celui-ci se trouve en fait au-dessus du fond humide que traverse le ruisseau arrosant le village de Bèche.
Nous ne pensons pas que M. le curé GUILLAUME ait donné à la pierre de « So Bèchefa » le nom de « pas d’âne », quoi qu’il en soit, c’est l’aspect de cette pierre même qui intéresse. Comment s’explique-t-il ?
Il s’agit d’un bloc d’arkose. Tout simplement, c’est l’un des nombreux spécimens d’une meule de moulin non achevée, telle qu’il s’en est fabriqué des quantités aux premiers siècles de notre ère. Déjà, à l’époque pré romaine, la population de la région pratiquait la taille de meules, de forme ovoïde ; on en a retrouvé bien des exemplaires. Quand les conquérants romains furent installés dans le pays, ils en continuèrent la production, mais sur un autre type, le type circulaire, d’environ un mètre de diamètre. Toute une population a dû être occupée à cette industrie et au transport des produits. Des carrières fournissant la pierre furent ouvertes ; on peut les voir encore aujourd’hui.
En outre, de nombreux blocs d’arkose gisant ça et là sur le sol, dans la campagne, furent également soumis à la taille en vue du même résultat. Le travail ne réussissait pas toujours ; il fallait alors l’abandonner, et la meule non achevée restait là, telle celle de Bèchefa. Actuellement encore, on peut en retrouver plusieurs, que nous avons pu nous-mêmes examiner.
Les produits de cette industrie ont dû être considérables, à preuve la quantité de débris et l’importance des fosses d’extraction visibles encore de nos jours.
Les meules circulaires de type gallo-romain comportaient, au centre un trou d’environ 10 cm. De diamètre. Qu’un peu d’imagination ait voulu voir dans ce trou la marque d’un pied de solipède, rien de fort étonnant.
Puis qu’on ait fait de ce solipède quelque coursier mystérieux, ou l’âne de saint Remacle, rien de très bizarre non plus. L’imagination pouvait se livrer, ici comme en d’autres domaines, à bien des fantaisies.
Selon les renseignements qui nous sont parvenus ces derniers temps, la pierre de « So Bèchefa » serait maintenant disparue ; sans doute aura-t-elle été, comme tant d’autres, brisée par quelque habitant des environs en quête de pierres à bâtir.
Ajoutons que d’autres spécimens du travail de l’arkose sont restés dans la région. Pour notre part, nous connaissons deux pierres tombales avec croix en relief, un petit bénitier, une croix verticale et la cuve baptismale de l’ancienne église de Saint-Martin, à Bovigny.
Gaston REMACLE
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